Les théories du complot ne datent pas d’hier, mais internet leur a donné l’opportunité de prendre une grande ampleur. Effet en 1963, Karl Popper dans Conjectures et réfutations écrivait déjà : « certains individus aiment lier les choses qui ne leur plaisent pas aux intentions de quelques individus d’influence ».
Un sondage réalisé en 2013 aux États-Unis Unis1 montrait que, pour 51 % des sondés l’assassinat de John F Kennedy était le résultat d’un complot, tandis que 4 % d’entre eux croyaient que le monde est dirigé par des reptiliens (soit 12 millions d’américains). Si l’une de ces affirmations pourrait paraître moins loufoque que l’autre, cela montre surtout que l’acceptation d’une théorie du complot ne dépend pas forcément de la théorie elle-même, mais est généralement « une manifestation d’une certaine vision du monde » selon laquelle tout ce qui serait inexpliqué serait causé par des forces obscures.
Plusieurs études ont montré que les personnes les plus enclines à accepter les théories du complot seraient celles qui ont le moins de contrôle sur leur vie. L’une de ces études2, menée sur des personnes en précarité professionnelle et des personnes dans une situation professionnelle stable, avait montré que les premières étaient plus enclines à adhérer à des théories du complot. Et concluait que l’adhésion à ce genre de théorie permet de « ressentir une illusion de contrôle compensatoire », en donnant un sens à des événements incontrôlables. Néanmoins cela peut sembler réducteur et n’explique pas « le comportement hautain des théoriciens du complot, qui vantent leur perception supérieure et dénigrent les non-croyants, « les moutons endormis ». Selon deux études récentes menées au États-Unis3 et en France4, il semblerait également qu’un certain nombre d’individus expriment ainsi leur besoin « de se démarquer des masses ignorantes » en se vantant d’avoir des connaissances exclusives. Cette conclusion est corroborée par le fait que « les personnes généralement prédisposées à accepter une théorie du complot étaient plus susceptibles de croire en des théories validées par un petit nombre d’individus ». Adopter des théories extrêmes serait pour elles une façon de se distancier de la masse pour se sentir spéciales .
Ces études laisseraient penser à une mentalité pathologique des conspirationnistes, en particulier les plus extrêmes.
Néanmoins une étude australienne sur le sujet, publiée dans « Frontiers in psychology nuance ce propos. Les chercheurs se sont basés sur l’analyse de 2,25 millions de commentaires publiés sur Reddit par 130 000 utilisateurs du forum r/conspiracy.
Les plus « férus des conspirationnistes » qu’ils ont surnommés les « illuminés » ne représenteraient que 5 % des membres du forum, mais seraient les plus actifs publiant, à eux-seuls, 64 % des commentaires. Prêts à adhérer à toutes les théories du complot, ils sont loin de faire l’unanimité auprès des autres membres du forum qui les perçoivent comme des « cinglés » et les accusent « de ne pas se baser sur des preuves logiques » et d’être nuisibles à leur réputation.
En dehors des conspirationnistes extrêmes que sont les « illuminés », « les autres, la majorité, tendent à ne s’en tenir qu’aux complots qui les intéressent et qui collent à leur vision du monde ». « Ils choisissent les histoires qui leur conviennent pour renforcer leur opinions, mais rejettent celles qui ne leur plaisent pas ». Et loin de croire en tout, ils sont avides de preuves qui pourraient démontrer le bien fondé des théories auxquelles ils adhèrent.
L’étude suggère également qu’une grande partie des utilisateurs du forum n’ont qu’une relation occasionnelle avec ces théories, croyant de temps en temps. Mais cela laisse à penser qu’une proportion importante de la population pourrait y adhérer, c’est pourquoi, les chercheurs soulignent l’importance d’enseigner la logique.
Cette éducation est d’autant plus importante que grâce à internet, «le seuil d’entrée dans ce monde est beaucoup plus bas ». Et ils s’inquiètent des algorithmes des réseaux sociaux comme YouTube et Facebook qui enferment leurs utilisateurs dans un vase clos.
(Sources : Motherboard, 26.04.2018 & Ici Radio Canada, 28.04.1018)
1. Democrats and Republicans differ on conspiracy theory beliefs, April 2, 2013 | Tom Jensen
https://www.publicpolicypolling.com/polls/democrats-and-republicans-differ-on-conspiracy-theory-beliefs/
2 The Psychology of Conspiracy. Beyond (right-wing) authoritarianism: Conspiracy mentality as an incremental predictor of prejudice. By Roland Imhoff : https://www.taylorfrancis.com/books/e/9781317599524/chapters/10.4324%2F9781315746838-14
3. Too special to be duped: Need for uniqueness motivates conspiracy beliefs, Roland Imhoff, Pia Karoline Lamberty, First published: 23 May 2017: https://onlinelibrary.wiley.com/doi/full/10.1002/ejsp.2265
4. Social Psychology (2017), 48, pp. 160-173. https://doi.org/10.1027/1864-9335/a000306. © 2017 Hogrefe Publishing. “I Know Things They Don’t Know!”The Role of Need for Uniqueness in Belief in Conspiracy Theories , Anthony Lantian Dominique Muller Cécile Nurra Karen M. Douglas