De nombreux ouvrages défendant des thèses contraires au consensus scientifique, voire clairement complotistes, sont largement mis en avant sur les sites de grandes enseignes. Pour elles, « il n’y a rien d’illégal ».
Un livre qui affirme qu’on n’a jamais marché sur la lune apparaît en tête des ventes dans la catégorie « Grands Enjeux » sur Amazon. Et sur le site de la Fnac, ce sont deux ouvrages climatosceptiques qui figurent dans le top 5 des best-sellers sur le climat… Ces livres complotistes sont-ils réellement les plus lus ? Les plates-formes ne veulent pas répondre, affirmant « qu’il s’agit de secrets industriels ». Mais quand on tape climat, Covid ou virus dans les moteurs de recherche d’Amazon ou de la Fnac, par défaut, ils affichent les ouvrages « mis en avant » ou classés « par pertinence ». L’enseigne française indique que son classement « par pertinence » est « le résultat du taux de clics, de la consultation des fiches produits et des ventes sur une thématique donnée ». Sans en dire plus. De la même façon, on pense que sur Amazon, l’algorithme ne va sans doute montrer que ce qu’il pense avoir le plus de chances d’être vendu. Oui mais…Dans le top 5 des deux sites, au moins trois livres suggérés sont climatosceptiques, antivax, voire franchement complotistes. Donc, « un acheteur intéressé par le sujet climatique a près d’une chance sur deux de se retrouver à consulter un ouvrage climatosceptique » déplorait dès avril 2023 la Fondation Jean-Jaurès.
Des trous dans la raquette législative
Et une fois qu’on a cliqué sur un ouvrage complotiste, Amazon va recommander plus de 90 % d’autres produits du même genre, alors même qu’on ne savait pas forcément que le livre initial était conspirationniste. Une sorte de piège qui enferme l’utilisateur dans une bulle occultant la pluralité d’idées. À force, le lecteur peut « finir par voir les choses sous un autre angle », pointe la sociologue Romy Sauvayre, spécialiste des sciences et des croyances.
Les éditeurs, eux, assument. « Avons-nous commis un délit ? » interroge Damien Serieyx, de l’Artilleur, chez qui sont notamment sortis Climat, la part d’incertitude et Le Déraisonnement climatique. « Nous pensons que notre responsabilité consiste précisément à favoriser le débat scientifique et non à nous faire les gardes-barrières d’un consensus. La Fnac avance, pour sa part, que tous les livres qu’elle vend sont autorisés par la loi. L’entreprise assure « rester attentive » et pouvoir « être amenée à intervenir de manière manuelle, pour garantir une représentativité sur une thématique donnée »…
Depuis février 2024, un règlement européen sur les services numériques s’applique aux grandes plates-formes en ligne, les contraignant à expliquer le fonctionnement de leurs algorithmes de recommandation. Mais, le vrai travail doit être fait en amont, « dans l’éducation et la formation », conclut Benoît Calatayud, de la Fondation Jean-Jaurès.
(Source : Le Parisien, 01.11.2024)