Les dangers du complotisme, parole de victimes

En cette période de pandémie, toutes sortes de complots ont surgi. Si l’on parle beaucoup de ceux qui les propagent, il est rare en revanche d’entendre leurs victimes. The Guardian a interrogé cinq personnes qui ont été la cible des complotistes.

Le premier, Marcel Fontaine, a été accusé d’être l’auteur du massacre du lycée de Parkaland en Floride le 14 février 2018. Sauf qu’il se trouvait à quatre heures de là par avion au moment des faits… Il ignorait qu’une photo de lui avait été récupérée quelques jours auparavant sur son compte Instagram pour être tournée en dérision, sur la plateforme complotiste d’extrême droite 4Chan, à cause de son affiliation politique de gauche, avant d’être reprise et mise en avant comme étant celle du tueur de masse. Sans aucune vérification préalable, Alex Jones, le fondateur du site complotiste InfoWars l’a propulsée à la une de son site, mettant en avant l’appartenance politique de Marcel. Lorsqu’il a découvert l’acte de malveillance dont il avait été victime, il était trop tard, la photo avait été largement diffusée sur les réseaux sociaux et les menaces de mort ont commencé à pleuvoir sur son profil Facebook. Marcel était piégé et a tout de suite su qu’il était en danger. Il n’a pas été inquiété par la justice, mais lui et sa compagne vivent depuis dans l’angoisse d’un passage à l’acte contre eux et sont victimes de crise de panique.

Lenny Pozner, 51 ans, a dû déménager huit fois pour échapper aux conspirationnistes qui le traquent depuis cinq ans. Sa faute ? Être le père de l’une des 20 victimes du massacre de Newtown (Connecticut) en 2012. Quelques mois plus tard, incitée par Alex Jones, la complosphère a remis en cause la véracité du massacre et publié quantité de documents affirmant que les jeunes victimes étaient des acteurs. Pire encore, que le fils de Lenny Pozner n’avait jamais existé. Pensant rétablir la vérité en mémoire de son fils, il a publié en ligne les preuves de l’existence du garçonnet de six ans. Le retour des complotistes a été un déferlement de haine et de menaces de mort qui a été jusqu’à la condamnation de l’une d’entre eux. Ces épreuves ont eu raison de son mariage, mais depuis il s’est donné pour mission de signaler sans relâche les théories conspirationnistes à travers son organisation Honr Network. Il a également entamé des poursuites judiciaires en diffamation contre Alex Jones qu’il accuse d’avoir amplifié le complot pour son profit financier personnel.

 

Le docteur Paul Offit, créateur d’un vaccin contre le rotavirus, est victime de la vindicte des complotistes anti vaccination depuis qu’il a fondé, en 2000, le Centre d’éducation sur les vaccins pour tenter de rétablir la vérité face aux mensonges propagés par l’ancien gastro-entérologue Andrew Wakefield qui a répandu l’idée que le vaccin contre le ROR provoquerait l’autisme. Comme d’autres, il a été menacé sur internet, lors de conférences, jusque chez lui. Aujourd’hui âgé de 67 ans, il poursuit la lutte sans relâche car outre sa volonté de rétablir les faits scientifiques, il s’inquiète de la montée du mouvement anti vaccination.

La développeuse de jeu vidéo Brianna Wu s’est trouvée mêlée au Gamergate, une polémique accusant plusieurs femmes d’avoir eu des relations amoureuses avec des hommes de ce milieu pour faire avancer leur carrière. Elle s’est trouvée menacée de viol, de mort, pour avoir critiqué les propos misogynes des tenants du Gamergate. Son adresse a été publiée en ligne, des photos d’elles ont été prises à son insu.

Quant à James Alefantis, le propriétaire du Pizza Comet, en 2016 son restaurant a été le théâtre du Pizzagate, théorie complotiste affirmant que des enfants victimes d’un trafic sexuel organisé par l’establishment démocrate étaient retenus prisonniers dans sa pizzeria. Une nouvelle fois poussé par Alex Jones, qui exhortait ses followers à mener leur propre enquête, le complot a pris une telle ampleur que certains d’entre eux ont fini par se rendre sur place pour trouver des indices, jusqu’au jour où un homme à la recherche des enfants a surgi dans la pizzeria avec une arme. Depuis Alex Jones s’est excusé et s’est vu exclu de plusieurs réseaux sociaux, tandis que James Alefantis a dû payer pendant près d’un an deux gardes armés pour protéger son restaurant.

(Source : The Guardian, mai 2020)