Illuminati ou la théorie du complot

Quand on demande à de jeunes lycéens s’ils ont déjà entendu parler des Illuminati, ils répondent en chœur : « Bah oui ! ». Selon ces élèves qui « y croient à fond », les Illuminati seraient partout : « Il y a des signes sur les dollars américains, sur les emballages de Kit-Kat et puis il y a les attentats du 11 septembre ». En effet, les tenants de cette théorie du complot pensent que les Illuminati useraient de leurs pouvoirs occultes et seraient la cause de tous les « dérèglements » de notre monde contemporain : crises financières, attentats terroristes, développement de la pornographie, commerce de la drogue, appauvrissement de la population…


Les professeurs sont confrontés à cette idée fixe des adolescents. Ils constatent à quel point ces jeunes sont poreux à ces thèses complotistes. Bénédicte G., professeur de français et d’histoire-géographie le constate : « ils se nourrissent le soir de ce contre-savoir et la classe devient une tribune ». La théorie des Illuminati répond au besoin de trouver des explications ésotériques au monde qui les entoure. Dans les années 1990 et 2000, la mode était au satanisme ou au spiritisme. En fonction de l’histoire de chacun, les jeunes y voient pour les uns la cause de l’esclavage, pour les autres celle du conflit israélo-palestinien. Le plus inquiétant est que le mot « Illuminati » est souvent suivi de propos antisémites et négationnistes. Au nom de la liberté d’expression, des élèves soutiennent la théorie selon laquelle les juifs se serviraient de la Shoah pour se victimiser alors qu’on ne parle pas suffisamment de l’esclavage. Parmi les enseignants les plus anciens, aucun ne se souvient avoir été ainsi obligé de « détricoter ces raisonnements faits de bric et de broc ». Il est vrai que la concurrence avec Internet est rude. Pour la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires, cette passion des jeunes pour les Illuminati se développe sur et avec Internet. Pourtant il n’y a ni gourou, ni pratique, ni lieu. La mission n’en reste pas moins préoccupée devant les interrogations croissantes de parents inquiets.

Selon Rudy Reichstadt, directeur d’un observatoire des théories du complot (1) , « l’effet peut s’avérer très gratifiant pour des jeunes confrontés à l’échec scolaire, ils acquièrent un discours politique propre ». Il doit y avoir un véritable travail d’éducation sur l’histoire et sur le statut des informations glanées sur la Toile. Cette jeune génération est très à l’aise avec Internet, mais a parfois du mal à distinguer le vrai du faux. Pour Rudy Reichstadt, « le conspirationnisme est aujourd’hui une idéologie autant qu’un business ».

Stéphane François, chercheur et professeur, travaille sur les droites radicales. Il a constaté que la théorie des Illuminati avait également atteint les étudiants de licence qui préparent des concours administratifs. Pour lui, « le phénomène, même s’il paraît être l’apanage d’une jeunesse dépolitisée, n’est pas déconnecté d’une sphère politiquement identifiée. Le politologue remarque que « ces discours sont très influencés par la mouvance de Dieudonné et d’Alain Soral », cet idéologue « d’extrême-droite professe qu’une oligarchie financiaro-américano-israélienne, qu’il nomme « empire », domine le monde ». Les Illuminati en seraient-ils une version simplifiée, plus accessible aux jeunes ? Soraya Ghali, journaliste au journal belge Le Vif, avance que ce complot profite aussi à l’islamisme radical (2).

À l’origine les Illuminati ou « Illuminés de Bavière » sont une société de pensée née en Allemagne en 1776. Se réclamant de la philosophie des Lumières, ils prônent un gouvernement mondial dirigé par l’élite intellectuelle aux idées humanistes. Condamnée par Rome puis bannie en 1784, la société a continué à nourrir les fantasmes. Ce sont les fictions de Dan Brown qui l’ont réintroduit au XXIè siècle.

Source : Le Monde, Elisa Mignot, 20.04.2014 & LeVif.be, 21.04.2014

(1) Son site, Conspiracy Watch

(2) Lire son article « >Sur la piste des vrais Illuminati, sur le site du journal.