Un profond malaise traverse la communauté des Travailleuses Missionnaires de l’Immaculée (TM). Durant ces dix dernières années, 50 personnes l’ont quittée. 15 d’entre elles se sont rassemblées dans un collectif dénonçant les conditions de vie et de travail au sein du réseau de restaurants de la communauté, l’Eau Vive. Elles affirment avoir subi un « système d’emprise particulièrement pernicieux ».
L’Avref (association d’Aide aux victimes des dérives de mouvements religieux en Europe et à leurs familles) soutient l’action collective de celles qui ont quitté ou cherchent à quitter les restaurants Eau Vive et à se libérer des abus et de l’emprise dont elles ont été ou sont encore victimes.
Après un premier récit accablant d’une ancienne TM il y a dix-huit mois, les langues se sont déliées et d’autres ont pris contact avec l’Avref. Leurs témoignages ont été recueillis dans un livre noir, Eau Vive et espérances taries, « transmis à la Conférence des évêques de France » indique Aymeri Surarez-Pazos, président de l’Avref. Les témoignages de ces anciennes Travailleuses se rejoignent : conditions de travail pénibles, isolement du monde extérieur et absence de déclaration et d’affiliation administratives, les laissant sans statut réel, sans couverture sociale et quasiment sans revenu.
La communauté, appelée aussi Famille missionnaire Donum Dei, a été fondée en 1950 par le père Marcel Roussel-Galle. Il entendait réunir des vierges chrétiennes pour épouser le Christ « tout en restant d’humbles travailleuses avec une profession ». Dès 1960, la communauté gère un réseau international de restaurants « L’Eau Vive », qui devient sa vitrine. Le plus grand d’entre eux se situe à Rome et offre une prestation de luxe qui contribue à l’image de marque « haut de gamme » de la chaîne.
Rattachée au tiers ordre carmélitain depuis 1987, la communauté est installée sur les cinq continents. Elle fonde une grande partie de sa spiritualité sur l’oeuvre de Sainte-Thérèse. Son centre de formation se situe d’ailleurs à Lisieux.
Les TM sont recrutées entre 14 et 18 ans, souvent dans des familles pauvres de pays en voie de développement, essentiellement d’Afrique (Burkina Faso, Cameroun, etc.) mais aussi dans les îles du Pacifique ou en Amérique latine.
Les « fiançailles et les épousailles » marquent l’officialisation de l’appartenance à la communauté. Une fois entré, il est presque impossible de la quitter.
Le président de l’Avref souligne que les TM « sont motivées par un appel à la vie religieuse assortie d’une promesse de formation. Elles n’ont pas la moindre idée de ce qu’elles vont vivre en raison du triple engagement de pauvreté, de chasteté et d’obéissance que l’on va exiger d’elles ».
Emilienne travaillait dans l’un de ces restaurants, situé sous Notre-Dame-de-la-Garde à Marseille (13). Dévouée à cette famille spirituelle où elle était en¬trée à 16 ans, cette burkinabée a subitement « mesuré le gouffre » qui sépare les TM des autres congré-gations catholiques. Comme d’autres, elle dénonce le climat autoritaire infantilisant : malgré seize années passées dans la communauté, elle était toujours considérée comme « la petite nouvelle qui n’a pas son mot à dire, aucune idée à apporter… » Elle a quitté les TM en 2010 car elle vivait « en autarcie sans les clés d’une vraie liberté intérieure » : passeport confisqué, communication restreinte avec les proches, diabolisation du monde extérieur. Une ancienne Travailleuse a raconté avoir appris le décès de son père un an après sa mort alors que les responsables de la communauté étaient au courant. Elle a alors souhaité pouvoir envoyer de l’argent à sa mère mais cette requête lui a été refusée. Cet événement la décidera à quitter la communauté : « J’ai passé 13 ans de ma vie chez les TM et je n’ai jamais pu payer un sac de riz à ma mère ».
Les anciennes TM déplorent également leurs conditions de travail : travail effréné rémunéré 5 à 10 euros par mois, climat autoritaire, interdiction de nouer le moindre lien avec les clients du restaurant. Les TM ne doivent pas tomber malades, encore moins être fatiguées. La personne humaine ne compte pas.
Elles reconnaissent avoir eu des difficultés à quitter la communauté. Leur fuite est d’autant plus difficile qu’elles n’ont pas d’existence officielle en France. Lorsqu’elles partent, elles n’ont plus rien : ni papier, ni argent, ni logement. « Après des années de travail » la plupart n’a pas non plus de numéro de sécurité sociale, précisent les responsables de l’Avref. Elles n’ont droit ni au chômage, ni à la retraite.
Magali Gaussin, membre du Conseil de direction internationale de la famille missionnaire, réfute les critiques émises par les anciennes Travailleuses Missionnaires. La responsable du restaurant Eau Vive de Marseille, Anne Hông Nguyen, les conteste également. Elle a annoncé qu’elle apporterait une « réponse appropriée aux allégations portées » dans les prochaines semaines.
Les anciennes TM du collectif estiment être entrées « en chrétiennes convaincues » et en être ressorties « traumatisées, sans vocation, ni conviction et même déchristianisées sans s’en rendre compte ». Aujourd’hui certaines sont déséquilibrées, désorientées et beaucoup d’autres détruites. Elles veulent faire savoir que l’Eau Vive n’a rien de religieux et inciter l’Église à réformer la communauté.
Elles souhaitent pouvoir tourner la page et trouver les moyens pour se reconstruire. George Belfort, de l’Avref, espère que la conférence des Evêques, maintenant informée, essaiera « au moins de faire en sorte que ces jeunes femmes obtiennent un numéro de sécurité sociale et une carte vitale ».
(Sources : La Croix, Céline Hoyeau, 16.07.2014 & Marsactu, Benoît Gilles, 11.08.2014 & Avref)
Télécharger le dossier complet des travailleuses missionnaires :
http://www.avref.fr/fichier/AVREF%20DOSSIER%20EAU%20VIVE.pdf