Sociologue des religions et spécialiste de l’ésotérisme contemporain, Damien Karbovnik, enseignant à l’Université de Strasbourg, analyse dans son essai Le développement personnel, nouvel opium du peuple, un phénomène en plein essor qu’il relie à la précarisation du travail et à l’accroissement des inégalités.
Pour Damien Karbovnik, le développement personnel repose sur une promesse. « Il s’agit de libérer un potentiel intérieur pour devenir une meilleure version de soi-même ». Ses adeptes viennent de tous les milieux, mais ses formes varient selon les classes sociales. La méditation séduit les cadres, l’astrologie touche plus largement. Si certains y voient un outil d’émancipation, d’autres s’y perdent, parfois jusqu’à la précarisation.
S’appuyant sur quinze ans d’enquête ethnographique, Damien Karbovnik montre que cette quête est sans fin. « Les pratiquants passent de méthode en méthode et sont toujours en chemin ». Le sociologue compare cette recherche infinie à une nouvelle forme de croyance. « Le développement personnel remplit la fonction symbolique qu’occupait autrefois la religion, offrant du sens et un cadre dans un monde désenchanté ». Il y voit un « opium du peuple », qui apaise la souffrance individuelle tout en détournant de l’intérêt pour le collectif.
Selon lui, la subjectivité est au cœur de ce système. « Chacun doit travailler sur soi pour aller mieux, au risque d’une culpabilité accrue quand cela échoue. Et si certains acteurs tentent de scientifiser ces pratiques, notamment via la pleine conscience, cela ne résout pas le paradoxe d’un bonheur impossible à mesurer ».
Damien Karbovnik pointe aussi l’infiltration de ces discours dans les institutions publiques, universités, collectivités, hôpitaux, qu’il explique par la crise du sens et le désengagement de l’État. « Le développement personnel s’installe là où les services publics se retirent. Même les milieux militants y recourent. Ce qui traduit bien un glissement du collectif vers l’individuel… Changer le monde en se changeant soi-même ».
Aujourd’hui, le marché mondial du bien-être est estimé à 1 500 milliards de dollars. Derrière la quête de sérénité, Karbovnik pointe une logique consumériste. « Acheter du bien-être revient à entretenir un système capitaliste qui parle le langage de la performance, de la résilience et de la compétitivité. L’individu devient un produit à optimiser ». Et le phénomène est pervers car « quand on achète du bien-être, on n’a pas l’impression de consommer ».
Pour conclure, le chercheur estime que « le développement personnel n’est ni bon ni mauvais, il est surtout révélateur d’une époque où être soi ne suffit plus ».
KARBOVNIK, Damien. Le développement personnel, nouvel opium du peuple. Éditions des Equateurs. 2025. 224 p.
(Sources : Le Poing, 13.10.2025 & Libération, 17.10.2025)
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