Un frère condamné pour agressions sexuelles et viols

Jean-Dominique Lefèvre, diacre de la Communauté Saint Jean, a été condamné à huit ans de réclusion criminelle pour agressions sexuelles et viols sur six victimes dont cinq mineures. Le procès s’est déroulé du 21 au 28 mai 2015 devant la Cour d’assises de Saône et Loire.

Assigné à résidence à Rimont (Saône-et-Loire), maison mère de la communauté, sous contrôle judiciaire, Jean-Dominique Lefèvre a comparu libre depuis le début de son procès ; après le verdict, il a quitté le tribunal pour la prison de Varennes-le-Grand (Saône-et-Loire).
Le diacre comparaissait pour des faits commis entre 1991 et 1999 en France et en Roumanie. Premières à être auditionnées pour des agressions sexuelles commises par Jean-Dominique Lefèvre en 1991, à la Chaise-Dieu (Haute-Loire), deux jeunes femmes, âgées de 8 ans au moment des faits, ont raconté comment leur enfance avait été saccagée. Leur entrée dans la vie d’adulte fut marquée par une sévère dépression. Aujourd’hui, elles essaient de se reconstruire.

De 1992 à 1996, Jean-Dominique Lefèvre est affecté en Roumanie. Sa fonction l’amène à être au contact des enfants. Il crée des spectacles pour des jeunes hospitalisés et mène une mission de « soutien spirituel » auprès de leurs familles. C’est là qu’il rencontre Cristina, une fillette âgée de 12 ans, issue d’une famille pauvre et battue par un père alcoolique. En 2006, elle porte plainte contre le diacre, l’accusant de l’avoir violée à de multiples reprises. Elle l’accuse également d’attouchements sur une vingtaine d’enfants au sein même de l’hôpital dans lequel il intervenait.
En 1997, Jean-Dominique Lefèvre est l’auteur de deux nouvelles agressions à Rimont. L’enquête a révélé qu’il aurait également agressé des fillettes à Notre-Dame-du-Laus (Hautes-Alpes), mais ses victimes n’ont pu être identifiées.
En 1998, ses supérieurs le contraignent à une « période de désert » dans les Alpes-de-Haute-Provence. Autorisé cependant à célébrer un mariage, il agresse une petite fille lors de cette cérémonie.
En janvier 1999, invité chez des amis, il parvient à abuser d’une petite fille. La mère de l’enfant décidera de ne pas porter plainte « pour ne pas provoquer un scandale médiatique ». Contactée plus tard dans le cadre de l’enquête, elle apprendra que sa fille n’était pas la seule victime…
Une seconde accusation de viols, sur la seule victime adulte, a suscité une plainte en 2008. Fragilisée par des viols subis dans l’enfance, la jeune femme cherchait un peu de réconfort et était en quête d’élévation spirituelle. Elle avait rencontré Jean-Dominique Lefèvre en 2007, au sein de la Communauté à Beaurepaire-en-Bresse où elle s’était vivement impliquée. Très affectée, ne parvenant pas à se remettre, elle sombre dans la dépression et finit par mettre fin à ses jours en 2010. La Cour n’a pas retenu l’accusation de viol concernant cette femme.

Dès l’ouverture des débats, Jean-Dominique Lefèvre a reconnu les cinq cas d’agressions sexuelles dont il est accusé, mais a nié les viols. Il reconnaît également des agressions sexuelles sur « cinq autres enfants en Roumanie et deux ou trois en France ».
Jean-Dominique Lefèvre devait également être jugé, à partir du 2 juin, devant le Tribunal correctionnel du Puy en Velay (Haute-Loire) pour l’agression sexuelle d’une mineure en 1991 ; le procès a finalement été reporté au 24 novembre 2015.

 

Les responsables savaient

Dans un communiqué publié avant le début des audiences, la communauté St Jean a exprimé une « profonde honte et tristesse », condamné « un comportement si odieux » et demandé « pardon aux victimes et à leurs familles pour les agissements de Jean-Dominique Lefèvre ».
Mais dès la première journée du procès, il est apparu que la Communauté était au courant des agissements du religieux et que ses supérieurs n’avaient pas suffisamment pris en compte la gravité de ses actes. Les responsables savaient d’emblée que la question de leur responsabilité serait posée au cours de ce procès.
Les Frères de Saint-Jean ont enfin admis « l’insuffisance des réactions et des décisions de la communauté à l’époque des faits ». Quand l’affaire est mise au grand jour, deux ou trois ans après les premières agressions, l’évêché du Puy assure que Frère Jean-Dominique n’aura plus de contact avec les enfants. Promesse non tenue. Quant à Jean-Dominique Lefèvre, longtemps muré dans le déni de ses actes, il n’a entamé un véritable suivi médical et psychologique que lors de son incarcération en 2008. Auparavant, comme seule prise en charge, en 1999, il avait été envoyé en urgence, contre son gré, au Canada suivre une session de trois semaines d’« agapèthérapie »1.

Le livre noir de la communauté

Créée en 1975 par le père Marie-Dominique Philippe, la communauté Saint-Jean, dont les membres sont surnommés « les petit gris » en référence à la couleur de leur habit, s’est installée dans le prieuré de Rimont à Fley (Saône-et-Loire) dès 1982.
Elle a rapidement fait l’objet de critiques : le père Philippe aurait recruté sans discernement, créé un lien trop affectif avec les personnes et serait trop traditionnaliste. L’AVREF (Aide aux victimes de dérives dans les mouvements religieux en Europe et à leurs familles) qui a très tôt alerté les autorités catholiques de dérives dans cette communauté, a dénombré quatre suicides entre 1981 et 2012 dont celui d’un frère présumé coupable d’actes de pédophilie qui devait comparaître devant une cour d’assises. Plusieurs membres de l’AVREF étaient présents au procès, aux côtés des victimes.
Mise en cause à plusieurs reprises pour des dérives à caractère sectaire, la communauté St Jean avait été placée sous surveillance, en 2003, par le Vatican.
En mai 2013, le prieur général, Frère Thomas Joachim, a reconnu que le fondateur, le père Philippe, avait eu des « gestes contraires à la chasteté » envers des femmes qu’il accompagnait spirituellement.
D’autres affaires judiciaires ont émaillé la vie de la Communauté de Saint-Jean :
Au début des années 1990, un frère abuse sexuellement de deux jeunes filles à Genève. L’affaire est classée car les faits sont prescrits. Le religieux réintègre ses fonctions trois ans plus tard.
En 2010, un autre, accusé d’abus sexuel sur deux jeunes filles au prieuré de Marchegg, en Autriche, est condamné à six mois de prison avec sursis et au versement d’une amende.
En 2012, un religieux mexicain est condamné à deux reprises : une première fois à Angoulême où il a été condamné à 18 mois de prison avec sursis pour agressions sexuelles sur un garçon de 12 ans puis en Saône-et-Loire où il est condamné à 25 mois ferme pour avoir agressé un lycéen âgé de 17 ans.
La communauté compterait actuellement environ 500 frères, répartis dans une soixantaine de couvents à travers le monde.

((Sources : Europe 1, 21.05.2015 & La Croix, 26.05.2015 & Le Parisien, 28.05.2015 & France 3, 02.06.2015 & AVREF, Le Livre Noir de la Fraternité Saint Jean : http://avref.fr/fichier/ST%20JEAN%20-%20LE%20LIVRE%20NOIR.pdf)

(1) L’agapèthérapie (« guérir par l’amour de Dieu ») est une pratique psychospirituelle qui consiste « à soigner simultanément l’âme et le psychisme de quelqu’un, confondant ainsi le niveau spirituel et le niveau psychologique. Cette pratique est également utilisée dans la communauté très contestée des Béatitudes. Lire sur le site de l’UNADFI : https://www.unadfi.org/system/files/articles/113_Psychospirituel_l_agapetherapie.pdf