La Citadelle : récent rebondissement judiciaire

Aux anciens lecteurs de BULLES, le nom de « La Citadelle » rappellera une triste affaire de secte, qui s’est déroulée dans les années 1980-1990 dans divers lieux d’Ile de France et de Normandie, et pour finir au Vésinet, dans les Yvelines (pas moins de 16 numéros de notre bulletin en ont traité entre 1987 et 1995 !).

Le 5 décembre dernier, un arrêt de la Cour d’appel de Versailles confirmait un juge-ment de 1995 déclarant un des responsables de ce groupe coupable de « violences volontaires » sur mineurs de 15 ans et le condamnait à 18 mois de prison avec sur-sis et des dommages et intérêts envers les deux enfants, devenus majeurs, victimes de ces violences ainsi qu’envers l’UNADFI.

Outre le fait qu’il était important que les jeunes gens, enfants à l’époque des faits, voient reconnues les maltraitances dont ils avaient été victimes et condamné leur auteur, ce jugement rappelle opportunément que nul ne peut se prévaloir de sa foi ou de textes religieux, fussent-ils bibliques, pour exercer des violences sur des enfants. En effet, les exemples ne manquent pas aujourd’hui dans des groupes chrétiens de dérives que leurs auteurs justifient par la foi: nos associations se doi-vent de « souligner la particulière sévérité, la fréquence, la durée et surtout l’inten-tionnalité des agressions subies alors par les enfants » (cf. conclusions déposées par l’UNADFI reprises dans l’arrêt de la Cour d’appel).

Le prévenu, lui, se disant « ferme et strict » avec l’un des enfants, affirmait n’avoir ja-mais utilisé la ceinture (contrairement au récit de cet enfant) ; il restait persuadé qu’il était victime d’un complot. Par ailleurs, il a trouvé des appuis dans un certain nom-bre d’églises chrétiennes d’autres pays et en France auprès d’anciens membres de la Citadelle… comme ces parents qui ont vivement réprouvé que leurs enfants main-tiennent leur accusation.

 

Rappel de cette affaire

L’association

La Citadelle était une association fondée par un couple d’origine roumaine Georges et Delia Mihaes. Arrivés en France vers 1973, ils entrent en contact avec les milieux protestants évangéliques, cherchant à enseigner la vraie foi qui, pour eux, n’est authentiquement vécue que dans les églises de l’Est. Après avoir fréquenté plusieurs églises protestantes, ils entrent à l’Eglise Chrétienne Biblique (ECB) de Rueil-Malmaison (Hauts de Seine). Le couple cherche rapidement à en prendre la direction mais se heurte au pasteur en titre. En 1979, les Mihaes quittent cette église entraînant avec eux la presque totalité des membres qui sont séduits par un idéa-lisme et une générosité apparents mais en réalité manipulés par un couple désireux d’exercer sa domination sur l’ensemble des fidèles. La nouvelle communauté, qui garde encore le nom d’ECB, se réunit à partir de 1983 au domicile même des Mihaes d’abord à Montesson puis au Vésinet (communes des Yvelines) : la « Mai-son de Dieu », où se rendent les fidèles, s’identifie progressivement à la maison de Georges et Délia. Le couple adopte un comportement de plus en plus autoritaire et dominateur.

L’ECB est finalement dissoute dans des conditions peu claires -après que G. Mihaes, vice-président, a liquidé le compte de l’association !- et une nouvelle association, non déclarée, est fondée en 1986 par Georges Mihaes : La Citadelle.

Sous couvert d’enseignement biblique et de principes chrétiens, le couple parvient à faire adopter aux adeptes un mode de pensée et de vie communautaire qui présente toutes les caractéristiques d’une secte. Il prône la nécessité de se couper du monde extérieur, de séparer les enfants de leurs parents, la soumission absolue au couple leader (Georges dirige les hommes et Délia les femmes et les enfants). Les règles de vie sont strictes (jeûnes, sommeil réduit, pas de loisirs…), les sévices corporels monnaie courante : les femmes sont giflées, les enfants, même les plus petits, reçoi-vent des coups de ceinture, des gifles, sont mis au coin longuement.

Les enfants sont scolarisés par correspondance, sous prétexte d’activité musicale développée : l’enseignement de la musique classique –pour purifier l’âme- est en ef-fet obligatoire. Les responsables organiseront même, au début des années 1990, un festival international de musique doté de prix (25 à 30 000 FF en 1994) dans la Sarthe, festival dont les liens avec une secte n’étaient bien sûr pas connus du monde des musiciens…

Les enfants devaient devenir résistants pour « vaincre les forces du mal et les mani-festations du Malin », le maître mot était « il faut briser l’enfant pour le soumettre, le rendre docile et obéissant » (voir le numéro 82 de Bulles Les sectes et les enfants, « les enfants d’une secte », p. 23).

Les arrestations. Le procès.

De nombreuses affaires judiciaires ont émaillé l’histoire de la Citadelle :
En 1992, un ex-membre dénonce à la police les agissements de certains membres du groupe puis une jeune fille fugue et fait des révélations sur les conditions de vie à l’intérieur de la communauté. Une information est ouverte et diverses investigations effectuées, sur commission rogatoire. De nombreux témoignages de personnes ayant quitté le groupe sont adressés à la justice. En février 1993, trois responsables de la secte, dont Mme Mihaes, sont arrêtés ou mis sous contrôle judiciaire et incul-pés de coups et blessures sur mineurs de moins de 15 ans, défaut de soins et, pour deux d’entre eux, de séquestration de plus d’un mois.

En février 1995, le tribunal correctionnel de Versailles condamne la dirigeante, Délia Mihaes, à 3 ans de prison ferme et les deux autres responsables à 18 mois de pri-son ferme ; ces peines sont assorties de 3 ans de perte des droits civiques, civils et de famille et du versement de dommages et intérêts aux enfants, à l’UNADFI et aux ADFI de Paris et de Versailles. Seule une de ces trois personnes a exécuté sa pei-ne, un mandat d’arrêt ayant été lancé contre Mme Mihaes et un des responsables, tous deux absents lorsque le tribunal a rendu son jugement. Les trois ont fait appel ; la Cour d’appel de Versailles a, le 9 mai 1995, majoré la peine de la dirigeante en la condamnant à 4 ans de prison ferme et confirmé par ailleurs le jugement du tribunal. Mme Mihaes n’a cependant jamais exécuté cette peine ayant quitté la France pour une destination non connue.

C’est l’autre responsable absent le jour du verdict qui comparaissait en septembre dernier devant la Cour d’appel de Versailles, ayant été extradé du pays où il vit de-puis 1995.

On ne peut que regretter que Georges et Délia Mihaes qui sont les premiers et vrais responsables d’un grand nombre de drames individuels et familiaux aient pu, eux, rester impunis.

Source : Bulles N°89, 1er trimestre 2006, Religion et risques sectaires