États-Unis / Cure de désintox pour ex-mormons

Un samedi matin Bountiful dans l’Utah, Becky McKinnon suit son cours de yoga avec une gueule de bois. Ceci n’aurait rien d’exceptionnel si ce n’est que Becky est issue d’une famille mormone et que dans l’Église de Jésus-Christ des Saints des derniers jours ni le yoga ni l’alcool ne sont autorisés.


Son compagnon, Timmy Chou, distribue tant qu’il le peut des cartes de visite sur lesquelles il est inscrit : « Vous vous posez des questions sur l’Église mormone ? Vous envisagez de quitter l’Église mormone ? Vous avez déjà quitté l’Église mormone ? Vous n’êtes pas seuls. » Au dos, une liste de sites Internet dont PostMormon.org, une communauté pour anciens mormons qui compte 9275 membres.

Lorsqu’ils voyagent, Becky et Timmy descendent dans les hôtels d’une chaîne appartenant aux mormons et en profitent pour laisser leur carte dans le Livre de Mormon.

À Salt Lake City, et plus largement dans l’Utah, les PostMo sont marginalisés. 62% de la population de l’État sont mormons, 77% des membres du gouvernement de l’Utah le sont aussi. La culture mormone imprègne le quotidien des habitants de l’État. Ils sont peu à exprimer leurs doutes sur l’Église. Les mormons ne s’y risquent pas : un conseil disciplinaire peut ordonner leur excommunication, « une marque au fer rouge des temps modernes ».

Deanna Rosen, psychothérapeute, explique pourtant qu’« il n’y a pas un seul psychothérapeute dans l’Utah qui ne reçoive des mormons pleins de doutes ». Leur questionnement commence souvent via Internet. Ils y découvrent que le fondateur de leur église, Joseph Smith avait des dizaines d’épouses dont certaines n’étaient âgées que de 14 ans alors que la polygamie de Joseph Smith n’est pas enseignée dans l’éducation mormone.

Timmy, qui a passé une grande partie de sa vie à lire exclusivement la littérature mormone, a été chamboulé lorsqu’il s’est mis à rechercher des sources objectives : « les faits les plus simples ont le pouvoir d’ébranler le monde d’un mormon ». Passant alors au crible toutes les inexactitudes historiques du Livre de Mormon, Timmy a envoyé sa démission à l’Église qu’il a officiellement quittée avec femme et enfants.
Pour Deanna Rosen, le mormonisme relève du « tout ou rien » : on ne peut pas accepter certaines choses et en rejeter d’autres.

L’Utah détient le record de dépressions nerveuses et est en bonne position en ce qui concerne les suicides. Pour la psychothérapeute, la position des mormons sur l’homosexualité contribue à ces taux. Un tiers de ses patients sont homosexuels. Élevés dans la foi mormone, ils ont pour la plupart été chassés de leurs familles. Beaucoup ont peur de perdre leur emploi car ils travaillent pour des entreprises mormones. Orientés vers des groupes d’anciens mormons, ils vont devoir trouver de nouveaux amis et de nouvelles familles.

Timmy prêche aujourd’hui l’évangile de l’alcool. Il souhaite en fait affranchir les nouvelles recrues de l’idée selon laquelle boire de l’alcool serait un péché. Pour cela il utilise les gobelets officiels utilisés par l’Église lors des sacrements. Les PostMo de Salt Lake City ne s’adonnent pas qu’à la découverte de l’alcool : ils apprennent à commander un café, acheter des sous-vêtements normaux. Ces ateliers sont essentiels pour pouvoir abandonner peu à peu le mode de vie mormon.

La plupart des PostMo ont été missionnaires mais ils savent qu’aujourd’hui Internet est devenu le mode de prosélytisme le plus efficace. C’est Jeff Ricks, designer de 59 ans, qui en 2002 a lancé le site PostMormon.org. Beaucoup de groupes organisateurs de réunion se sont formés sur les forums du site. Il a également acheté des panneaux publicitaires qu’il a installés dans des zones majoritairement fréquentées par des mormons, sur lesquels il a fait inscrire : « PostMormon.org : vous n’êtes pas seuls ». Plus il achète de panneaux, plus la fréquentation sur les forums augmente. Le site enregistre environ 10 millions de pages vues par mois.

Pour Timmy, l’important est que tout le monde se sente libre d’être lui-même, « l’un des aspects les plus néfastes du mormonisme, c’est qu’il impose aux gens une fausse identité (…). C’est une fois que le voile est levé que l’on ouvre les yeux : voilà à quoi la vie devrait ressembler ».

Source : Courrier international, 03 et 09.04.2014