Après 10 ans chez Les Enfants de Dieu. Témoignage de la fille de Moïse David

BULLES du 3ème trimestre 1984

Deborah Davis est la fille de Moïse David, le  » guru  » de la secte des Enfants de Dieu, rebaptisée depuis  » Famille d’Amour « . Son expérience d’adepte, ses doutes, ses tergiversations, puis sa sortie définitive de la secte ont quelque chose d’extrême, d’exemplaire. Voici, très résumé, le récit qu’elle fait de sa longue histoire.
 

Interprétation des Ecritures

Les gens me regardent souvent et se demandent :  » qu’est-ce que 31 ans de vie dans la dépendance d’un homme comme Moïse David ont fait d’elle ? Qu’est-ce que cela veut dire :  » 10 ans d’appartenance aux Enfants de Dieu  » ?

Laissez-moi vous dire un incident qui m’est arrivé à Londres, en 1972. Tout d’abord, vous devez savoir que, dans le mouvement, tous nous faisons partie de  » la famille « , mais la propre famille de Dad (nom affectueux sous lequel on parle de son père) était connue comme la Famille Royale. C’était le fruit de son imagination. Il était le Roi et il devait choisir l’un d’entre nous pour être sa Reine. A un moment, il m’avait choisie, moi, sa fille aînée. Toute la famille était réunie pour une rencontre  » de gouvernement « . Nous discutions des éléments généraux du travail et cela semblait une rencontre habituelle. Alors, il commença :  » Les Églises se sont fourvoyées dans leurs interprétations puritaines des Écritures. Dieu nous a montré les merveilles et la magnificence de la liberté qu’il nous a donnée et le sexe est l’un des plus grands dons à l’homme. Nous sommes libres, par sa grâce, de nous réjouir des latitudes de la liberté sexuelle. Pour les purs, toutes choses sont pures. Il y en a parmi vous, ici, qui ont résisté à l’Esprit de Dieu et Dieu ne le veut pas « .

Nous avons continué pendant des heures à interpréter les Écritures afin de prouver ce point. Alors, il dirigea son attaque directement contre moi parce que j’avais, juste un jour plus tôt, refusé ses avances pour une relation incestueuse avec moi. J’étais déjà mariée depuis 9 ans. Dad me dit qu’en vérité, j’avais refusé d’accepter qu’il fût le Prophète de Dieu.  » Le prophète, nous dit-il, n’agit pas égoïstement ou selon son inspiration ou son plaisir personnel, c’est toujours sous l’influence du Tout Puissant « .

J’avais rejeté la secrète requête de Dieu, je n’étais plus digne d’être appelée Reine. Il dit qu’en vérité, c’était ma petite sœur Faith qui était actuellement la Reine légitime car elle n’avait jamais repoussé son père. Pour la première fois, il m’était révélé que, depuis sa prime jeunesse, elle et mon père, avaient pratiqué l’inceste. Elle le révérait comme un vrai Prophète tandis que moi, j’étais rebelle et égoïste.
Pendant toute cette scène, je m’assis tranquillement, n’affectant qu’une faible émotion. Au dedans, je bouillais et haïssais mon père. Il avait détruit tout ce que j’avais de cher dans ma vie. Je me tenais là, déterminant ce que j’allais faire :  » Je ne dois pas montrer d’émotion. Je n’exploserai pas. Je vais me montrer repentante et pleine de regret. Quand la réunion sera terminée, j’irai tranquillement me coucher et m’esquiverai aux petites heures du jour. Je quitterai cette horrible maison et n’y reviendrai plus jamais « .
 

Tout près du suicide

Je n’aime pas me rappeler ces jours où je parvins aux limites de la vie même. J’étais au bord du précipice. J’envisageais fortement de mettre fin à mes jours. Il y avait seulement 4 mois, mon frère Aaron en était passé par là, lui aussi. Son corps avait été trouvé au pied d’une falaise, juste à 2 heures de Genève. Il avait dit à ma mère, 2 jours avant de disparaître, que ses doutes à propos de Dad le rendaient fou. Aaron avait mémorisé de longs passages de la Bible et il savait par cœur tous les Livres du Nouveau Testament. Sa connaissance de l’Écriture le tenait en conflit avec ce que Dad faisait et disait. Il ne pouvait pas supporter de rejeter le Prophète, et sa condamnation de lui-même pesait si lourdement sur lui qu’il ne pouvait pas le supporter plus longtemps.

Je reconsidère ces événements et je me demande :  » Qu’est-ce qui m’a retenue ?  » Notre volonté de survivre peut-elle être appelée Foi ? Je pensais beaucoup à mes enfants. Tout ce que je sais, c’est que, même si j’envisageais fortement le suicide, je ne pouvais pas le commettre. Comment mon frère l’avait-il pu ?

Je passai 4 jours, seule, dans une petite chambre d’hôtel, sans rien manger. Je me disais que, jamais, je ne rentrerais chez mon père et que je n’aurais plus rien à faire avec les Enfants de Dieu. A l’intérieur de moi, une bataille faisait rage. Finalement, je voulais faire face à mon père et lui dire qu’il était dans l’erreur. J’étais terriblement perturbée à l’idée de ce qu’il faisait et de ce qu’il essayait de me faire. En ces 4 jours, mon esprit se clarifia et devint plus sain que je ne l’avais senti depuis des années. Mais toute cette résolution balayée par un flot d’émotions, de peurs, de confusions et par un indescriptible état de manque. Je savais que je ne pouvais pas combattre mon père. Lui connaissait exactement quels points faibles atteindre, comment percer mes défenses, sur quels boutons précis appuyer. Quand il en aurait terminé avec moi, je croirais qu’il serait dans le vrai et moi totalement dans l’erreur. Non, entrer dans son arène était impossible, mais j’avais aussi pensé à mes enfants. Je savais que ce serait terrible pour eux d’être abandonnés là sans moi. Je perdis tout désir de combattre. Cette petite flamme qui était dans ma conscience était totalement éteinte par la résignation de ma volonté.

Et c’est dans ces conditions que je suis retournée. J’avais gagné, dans cette chambre d’hôtel, la bataille sur le suicide physique, mais en retournant, j’avais perdu une bien plus grande bataille. J’étais en train de commettre un suicide spirituel. Soigneusement, intentionnellement, je me mis dans une boîte mentale. J’acceptais la réalité uniquement dans les limites de cette boîte : au-delà, je n’accepterais et ne verrais rien. Qu’est-ce qui vivait à l’intérieur de cette boîte ? J’étais une personne hors du temps, sans réalité, sans bases, sans sentiments. Dieu et la réalité de Jésus-Christ avaient cessé d’exister. L’amour était un mythe, le sexe, un cauchemar peuplé de perversions diverses. Le vrai et le faux avaient été aspirés, morceau par morceau, dans un vide total. Je pense que j’étais entrée dans les premiers parages de l’enfer.
Je traversai quelque huit périodes comme celle-là, ce que j’appelle mes points de rupture. C’étaient des temps de crise où ma conscience se dressait en face de moi et où la pensée persistait :  » Que fais-je ? Pourquoi suis-je en train de continuer là-dedans ?  » A chacun de ces épisodes, à quelle réalité pouvais-je faire face ? J’étais dedans et décidais chaque fois d’y rester. Et à chaque incident qui survenait, je n’étais plus capable de faire face. Avec le temps, ma conscience devenait plus insensible, de telle sorte que les choses que je pensais fausses un petit moment avant, ne m’apparaissaient plus comme telles. Par un acte de volonté, je choisis de demeurer dans le groupe et restai chez les Enfants de Dieu une nouvelle période de 5 ans et demi jusqu’à ce que j’en sorte finalement en 1978. C’est seulement maintenant, 4 ans plus tard, que je suis capable d’en parler publiquement.
 

Des  » purs  » au service d’un mensonge

Qu’ont fait de moi 10 ans parmi les Enfants de Dieu ? Il ne m’est pas facile de répondre par des mots. Avoir grandi dans une secte, en dépit des aspects macabres et repoussants que j’y ai rencontrés, est une extraordinaire expérience humaine puisqu’elle est modelée sur des gens. Toutefois, si je devais dresser l’histoire de ma vie aussi brute et bizarre, personne ne me croirait. Moi-même, je trouve dur de croire que cela me soit arrivé : maintenant encore, je suis entourée de précipices, et mes blessures me confirment que tout cela est vrai. Par la miséricorde de Dieu, je suis là, je suis chrétienne, j’ai appris que Dieu est plus grand que tout péché.

Il existe une erreur très répandue selon laquelle le mouvement des Enfants de Dieu était bon au début et portait de bons fruits dans la vie des jeunes gens. Le mouvement n’était pas bon au début mais, au contraire, bâti sur un mensonge. Beaucoup d’anciens membres sont dans la confusion sur ce point. Ils ne comprennent pas à partir d’où le groupe s’est égaré. Tout à fait au début, nous pensions être l’avant-garde radicale des  » Jesus People « . Nous étions les soldats de première ligne qui auraient quitté leurs maisons leurs familles, leurs métiers et tout leur avoir pour le service de l’Evangile. Dans les premiers temps, les Enfants de Dieu avaient l’air d’un groupe puritain, voué à la prédication, condamnant la société américaine corrompue et l’Eglise établie dans le système. Il y a seulement un an que j’en suis venue à comprendre ce qui était faux dans les fondements : mon père qui se disaient chef directement guidé par Dieu. En lui faisant confiance aveuglément, on s’exposait à toutes les déviations, d’ailleurs très vite survenues, et qui ont conduit à toutes les formes d’adultère, de fornication, de dévoiements, de sodomie, d’homosexualité, de lesbianisme, de pratiques sexuelles des enfants, de relations sexuelles parents-enfants avec l’inceste comme doctrine. Oui, les temps des débuts étaient crucifiants pour moi parce que mon père avait pris quelques autres épouses et avait approuvé la liberté sexuelle pour les leaders du mouvement… Et cette pauvre  » Jesus People Army  » n’avait aucune idée de ce qui se passait. Je sais que si nous leur avions dit toute l’histoire, ils ne nous auraient jamais rejoints.
 

Une seule issue : la compassion

Enfin, mon mari et moi, nous avons réalisé que nous ne voulions plus jamais travailler pour mon père. La pression constante, la jalousie, la vilenie étaient plus que nous ne pouvions supporter. Fondamentalement, ce fut la raison de notre sortie.
Je donne mon témoignage d’avoir été ainsi dominée pendant plus de trente années par la tyrannie de l’hypocrisie religieuse et de la faiblesse humaine. Pendant ces quatre dernières années, j’ai examiné le pouvoir qui m’a dominée et je sais maintenant que ni mon père, ni son mouvement n’auraient pu avoir aucun pouvoir sur moi si je n’y avais pas adhéré.

Nous avons aidé beaucoup de gens qui ont été dans les Enfants de Dieu. Cela n’a pas été en réfutant leur doctrine. Ils avaient des réponses et des justifications pour chaque point. Notre approche a consisté à leur montrer la réalité de l’Amour du Christ, le manifestant dans notre comportement et dans la manière dont nous les traitions comme des personnes. Bien sûr, la doctrine est fausse, pécheresse, démoniaque, mais il est bien plus efficace d’atteindre leur coeur en leur parlant d’amour, de compassion et de pardon. Bien qu’ils puissent parler de tout l’amour qui se trouve dans le mouvement, la réalité de l’amour chrétien n’y est pas, car il y a peu ou pas de pardon. Si ceux qui les reçoivent sont chrétiens, c’est quelque chose qui peut avoir un effet puissant. Ils ressentiront la différence entre le pur amour chrétien et ce qui se vit dans le mouvement.

Aujourd’hui, je pense seulement exprimer ma joie de la miséricorde que Dieu a révélée dans ma vie. Sûrement que le pardon de Dieu durera toujours. Ma vie est un témoignage pour les parents de toutes les victimes de ces sectes. Dieu est plus grand que tout péché, plus grand que toute secte. Ne perdez jamais espoir.