Mes vrais souvenirs, des faux souvenirs incestueux

Par J. TROUSLARD

C’est la secte de Saint-Erme qui me fit découvrir, en 1982, le phénomène des faux souvenirs incestueux.

Chargé d’enquêter sur ce groupe, j’ai visité, en France et en Belgique, environ 250 familles, qui me firent part des dérives sectaires dont elles-mêmes et leurs enfants étaient victimes.
Découvrant que cette secte comprenait 380 adultes, de 30 à 40 ans, parmi lesquels 72 médecins, une vingtaine de professeurs d’université, des psychiatres, des psychologues, des psychothérapeutes, des infirmières, je ne parvenais pas à m’expliquer comment des personnes d’un tel niveau culturel et scientifique pouvaient s’abandonner à de telles aberrations et être ainsi manipulés. D’autant plus que ce groupe se présentait sous le couvert de deux sociétés scientifiques : la SIRIC (Société Internationale de Recherche Interdisciplinaire sur la Communication) et la SIRIM (Société Internationale de Recherche Interdisciplinaire sur le Maladie). De plus, pour répondre à la campagne de presse que nous avions lancée, cette secte publiait un livre intitulé «Communication ou Manipulation» afin de démontrer que «lorsqu’on démonte et met au grand jour les mécanismes de la manipulation, on s’expose à être couvert de boue par ceux que l’on dérange».

Les familles, douloureusement meurtries et consternées, m’avaient rapporté la preuve de la transformation radicale de leurs enfants séduits par un gourou charismatique : destruction de leur vraie personnalité, et entre autres, destruction de la relation familiale. Ce que les parents dénonçaient, je le retrouvais, mot pour mot, dans ce livre de Saint-Erme, dans le courrier interne confidentiel de la secte, mais aussi dans les lettres abominables, injurieuses et calomnieuses, que les adeptes de Saint-Erme adressaient à leurs parents, en développant, à la même date, les mêmes thèmes dans les mêmes termes : « Parents possessifs «, « querelleurs», «névrosés de tous ordres», «vrais détraqués, «autoritaires », «ignobles et infâmes», « gêneurs et perturbateurs», «nous sortons tous de familles déséquilibrés et déséquilibrantes » …

« Pères trouillards et méprisables», « hommes diminués « en sac de nœuds» « s’abrutissant dans le travail», «quémandeurs sexuels», « paralysés dans leur développement par la mère d’abord et par l’épouse ensuite», «pauvres esclaves rasant les murs devant une femme tyrannique», «Mères. C’est contre la mère et la femme que la diatribe était la plus violente : « La cause centrale de tous les maux est la mère, premier prix, et puis l’épouse, premier accessit», «La femelle? Elle est entièrement conçue pour détraquer le mâle. Ce n’est pas une accusation mais un constat», « naturellement égocentrique», «prédestinée à l’arbitraire donc à la tyrannie», « puissante matrone», «la reine mère», « mante religieuse qui tue le mâle ayant accompli son rôle» … Aussi révoltantes que puissent être ces accusations, je n’étais pas encore arrivé au paroxysme de l’horreur. En effet certains parents me confièrent que leurs enfants, qui pourtant avaient rompu toute relation avec eux, leur avaient demandé de rechercher et de leur adresser le plus rapidement possible des photos de leur petite enfance. La plupart des parents obtempérèrent. Mais en fait cette demande n’annonçait aucun rapprochement de la famille. Bien au contraire, elle avait pour objet de persuader, d’illustrer et de démontrer que, certains d’entre eux, avaient été victimes de relations incestueuses dans leur toute petite enfance. Le courrier de la secte dénonçait «une relation malsaine et abusive», «des mères amoureuses de leur fils et des pères amoureux de leur fille». C’est ainsi que des adeptes, de 30 à 40 ans, en vinrent à accuser leur mère ou leur père d’inceste qu’ils n’avaient jamais commis.

Certes on ne peut pas nier que des crimes aussi graves ne puissent être commis dans certaines familles. Mais, chargé de constituer l’offre de preuve pour le procès contre la secte, après avoir enquêté très sérieusement auprès des frères et sœurs, j’ai pu avoir la preuve qu’il s’agissait uniquement de faux souvenirs que le gourou avait induits par manipulation.

Des mères ont accepté de témoigner et de fournir des attestations judiciaires, comme cette lettre que l’une d’entre elles adressait à son fils : «J’avais lu les journaux, pris connaissance du livre. Et tout s’est éclairci. J’ai compris comment un fils qui nous avait donné toute satisfaction pendant son enfance et sa jeunesse avait pu en venir à porter des accusations si graves contre sa mère. Il faut qu’il soit la victime de cette manipulation si bien dénoncée chez les autres.»

 

Comment est-ce possible ?

Est-il possible d’induire de tels faux-souvenirs, et comment ? Cette mère nous donne la réponse, en écrivant à son fils qu’il est victime de cette manipulation si bien dénoncée chez les autres. Effectivement, le gourou, accusé d’être un manipulateur, publie le livre «Communication et Manipulation « pour démontrer que « lorsqu’on démonte les mécanismes de la manipulation, on s’expose à être couvert de boue par ceux que l’on dérange».

S’intitulant Directeur de Recherche, l’auteur, en 350 pages, s’en prend à « la psychologie et à la sociologie qui n’ont pas étudié le phénomène de façon satisfaisante, (mais lui) enseigne et explique comment une personne en soumet une autre, la manipule … «Si le livre, au dire d’éminentes personnalités scientifiques, n’a aucune valeur scientifique, il n’en reste pas moins vrai que l’auteur analyse d’autant mieux les mécanismes de la manipulation qu’il n’a qu’à écrire ce qu’il pratique. La manipulation ? : « Une technique opératoire dont l’effet est d’atténuer ou de suspendre momentanément l’acuité des facultés cérébrales conscientes du sujet en vue de subordonner son psychisme subconscient à l’influence verbale de l’opérateur». (p.156)

«La suggestion permet de faire remonter des souvenirs très anciens », c’est la formule astucieuse pour cacher qu’on peut tout autant induire des faux souvenirs qui remontent à la toute petite enfance (p.157).

Le manipulateur manipule en trois temps : il séduit, il détruit et il induit.

Il séduit : séduction, «mise en confiance absolue, aveugle : c’est le premier atout à jouer pour se ménager les bonnes intentions de son patient. Il s’agit de se mettre sur la même longueur d’onde que lui» (p.161)

Il détruit : «arracher les gens à leur environnement habituel, les déraciner tout d’un coup, les couper de leurs relations». (p.165).

Il induit : «Rassuré, mis en confiance, le patient ne songe plus à passer au filtre le discours… il avale un tas de suggestions… sans s’en rendre compte aucunement et qui orientent sa réflexion, sa perception, son jugement» (p.162). C’est ici qu’a lieu l’induction de faux souvenirs, précédée d’une phase de déstabilisation (p.165).

Conclusion : c’est la manipulation, «la suggestion qui l’emportera désormais sur la réalité elle-même. C’est elle qui prévaut sur la réalité… la réalité peut crier, hurler le contraire … ils ne la voient pas, ils ne l’entendent pas. Ils refusent d’y croire. C’est là que nous soupçonnons la force de l’endoctrinement communiqué, dont des sujets par ailleurs intelligents et cultivés ne veulent pas démordre (p.172) ».

 

Sortir de faux souvenirs, est-ce possible ?

Cette conclusion extrêmement pessimiste ne doit pas décourager ni désespérer les parents ni leurs enfants victimes de faux souvenirs. Pour leur redonner espérance, voici l’heureux dénouement de cette pauvre mère, citée ci-dessus, et qui avait été accusée si odieusement par son fils et sa belle-fille.

Au retour de ses vacances, elle trouve dans son courrier deux lettres :

Une lettre de son fils :

« Nous venons, ma femme et moi, de quitter la société civile « Le Haut de Saint-Erme» et je commence juste à voir combien nous avons été manipulés par M. Cornélis. (le gourou).
Je vois maintenant combien notre attitude à ton égard a été injustifiée et scandaleuse et te prie, si tu le veux bien, d’accepter mon pardon. Nous chercherons, si tu acceptes, une forme de réparation. C’est poussée par un certain remords et un peu de sens humain que X …avait fait cette tentative de rapprochement. Je t’écrirais plus longuement un peu plus tard. Je te demande encore pardon et t’embrasse affectueusement ».

Une lettre de sa belle-fille

« Je vous demanderais d’accepter aujourd’hui mes plus profondes excuses pour l’accueil ignoble que je vous ai réservé, allant à l’encontre de toutes les lois humaines d’hospitalité.
Mon attitude à votre égard m’est vite apparue odieuse et insupportable. Si je ne vous ai pas adressé plus tôt les excuses complètes que vous étiez en droit d’attendre, c’est que je ne voyais pas très clair.
Après plusieurs désaccords avec M. Cornélis, fondateur et actuel directeur du «Centre de Saint-Erme», nous en sommes partis et commençons à voir la manipulation dont nous avons été les victimes. Pour moi, cette appartenance n’est pas une excuse. Je constate avec désolation ce que je vous ai fait et je vous demande humblement pardon, ne sachant trop comment réparer ce comportement odieux. Je vous demande d’accepter mon estime et mon affection».

Puisse ce témoignage prouver que l’espérance n’est pas morte !

13 juin 2005