Les sectes entrent à l’hôpital

Olivier Hertel, journaliste de Sciences et Avenir s’est lancé dans une vaste enquête sur ce type de médecines dites « parallèles », « complémentaires » ou « non conventionnelles ».


Il démarre par le reiki qui prétend « canaliser les énergies » par imposition des mains, pointé par la Miviludes dans son guide « Santé et dérives sectaires ». Un document de 130 pages « Le reiki à l’hôpital » délivre « toutes les ficelles » pour « endormir la méfiance des personnels hospitaliers » afin de pouvoir introduire cette technique à l’hôpital. Car de l’aveu même de l’animateur du site reiki Forum, le reiki a rencontré quelques difficultés, ces dernières années, à pénétrer l’hôpital en France. Selon ce même document interne, les techniques de « réharmonisation » du reiki permettraient la guérison du cancer et autres maladies graves…

En Angleterre, un spécialiste de médecine complémentaire à l’université d’Exeter a recommandé de ne pas autoriser le reiki dans les hôpitaux, s’appuyant notamment sur une étude parue dans « Oncology Nursing Forum » qui met en évidence que les effets de cette pratique ne seraient pas supérieurs à ceux d’un placébo. Cet avis est partagé par le Pr Joël Menkes, membre de l’Académie Nationale de Médecine, à l’origine d’un rapport actuellement en cours de rédaction à l’Académie sur les médecines non conventionnelles dans les hôpitaux publics. Son initiative a été lancée à la suite de l’annonce par l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP), de son intention de développer « certaines thérapies non conventionnelles ». Pour le Pr Joël Menkes « introduire ces thérapies revient à les légitimer, à leur donner du crédit ».
Le journaliste cite d’autres pratiques reposant sur les « forces guérisseuses » . Une jeune femme, Chloé, a engagé une action en justice contre le Mouvement Régénérateur et a saisi la Miviludes. Sa mère, âgée de 58 ans et adepte de ce mouvement, refuse l’ablation de son sein, touché par une tumeur. A la suite d’un stage, elle a été convaincue « qu’elle peut faire disparaître la maladie toute seule ».

« Les cas douteux se multiplient » dans de prestigieuses institutions médicales. Ainsi en est-il de la réflexologie plantaire reconnue par le « Référentiel pour la prise en charge de la douleur chez l’adulte » en usage dans tous les services de cancérologie et édité par l’Association francophone pour les soins oncologiques de support (Afsos). Cette association qui réunit les plus grands experts (oncologues, hématologue, etc), a donné « sa bénédiction » à la réflexologie, pratique qui repose sur un concept « scientifiquement fantaisiste » de « réharmonisation » des énergies en pressant des points précis de la plante des pieds. L’Afsos a ainsi ouvert un boulevard à d’autres pratiques à risques.

On découvre sur le site officiel de la Ligue contre le cancer de Loire-Atlantique une invitation à la réflexologie avec une thérapeute. Un lien renvoie vers un site de « réflexologie intégrative » mentionnant que cette technique aide le malade atteint du cancer à « retrouver une attitude positive face à la vie pour stimuler au maximum son intelligence naturelle d’autoguérison ». Par ailleurs, Olivier Hertel précise qu’il existe des liens entre la réflexologue et une association de thérapeutes, Etres en mouvement, qui propose un éventail de pratiques alternatives non éprouvées. Un patient peut ainsi se trouver « immergé » dans un réseau dont « l’idéologie » suggère l’arrêt des traitements conventionnels.

Pour sa part, Simon Schraub, professeur de cancérologie à Strasbourg et auteur d’une étude sur les médecines alternatives dans le domaine du cancer, affirme qu’il ne faut pas prendre le risque d’introduire les « médecines complémentaires dans les institutions médicales ». Un point de vue partagé par Patrick Dufour, directeur du centre anticancer Paul-Strauss à Strasbourg pour qui « les soins de support » doivent se cantonner à ce qui est vraiment bénéfique pour le malade : traitements éprouvés contre la douleur, diététique, soutien psychologique, kinésithérapie, etc.
A Marseille, l’hôpital Paul-Desbief a accueilli pendant trois jours l’Association de prévention pour la santé par les médecines douces (Apsamed) qui dispose d’un large réseau de naturopathes, kinésiologues et réflexologues. L’association organise chaque année un colloque où se croisent thérapeutes, médecins et chercheurs intéressés par les médecines alternatives. Dans un enregistrement vidéo de l’édition 2011, il est possible d’entendre un magnétiseur délivrer des conseils pour éviter de se faire poursuivre pour exercice illégal de la médecine ou bien un autre intervenant qui n’hésite pas à faire référence aux théories plus que contestées du Dr Hamer. Présente aussi sur la vidéo : Martine Gardénal, médecin homéopathe et « présidente de la recherche de l’Apsamed ». Cette dernière avait été condamnée à une interdiction d’exercice de six mois dont trois avec sursis par l’Ordre des Médecins « pour n’avoir pas respecté le suivi thérapeutique de certains de ses patients atteints de cancer »…

Enfin, c’est au cœur du système universitaire que l’enquête du journaliste se conclut. Il s’intéresse à la fasciathérapie qui soutient l’existence dans le corps d’un mystérieux mouvement animant les fascias, « tissus conjonctifs qui délimitent les organes ». Cette pratique, élaborée par le kinésithérapeute et ostéopathe français Danis Bois, a été dénoncée par le Conseil National de l’Ordre des kinésithérapeutes « qui rappelle qu’elle n’est pas reconnue par la profession, contrairement à ce que prétend Danis Bois ». De même Olivier Palombi, professeur d’anatomie et de neurochirurgie à l’université de Grenoble, conteste les allégations des promoteurs de la fasciathérapie. Une étude de master réalisée cette année à l’université de Grenoble confirme que la fasciathérapie n’a pas fait la preuve de son efficacité thérapeutique. Reste que cette dernière « et ses dérivés » se sont imposés comme une discipline à part entière à l’Université ! L’article répertorie ainsi 17 thèses en cours dans au moins six universités. Enfin, la fasciathérapie est enseignée dans le cadre du Diplôme universitaire (DU) Stress, Traumatisme et Pathologie de la Pitié-Salpêtrière à Paris. « Plus surprenant », cette pratique a fait l’objet d’un « essai clinique » à l’Institut de cancérologie de l’Ouest (ICO) d’Angers. Actuellement, « des cohortes de kinésithérapeutes » apprennent la méthode Danis Bois par l’entremise de « Point d’appui », un organisme de formation privé qui délivre master, Diplôme d’Université et Doctorat reconnus par l’Etat. « Et ce, grâce au partenariat avec l’université privée Fernando-Pessoa de Porto (Portugal) où les étudiants ne sont tenus de se rendre que pour la soutenance de leur diplôme » qui se déroule en français. Par ailleurs, Danis Bois bénéficie de soutiens à l’intérieur du système universitaire français et notamment d’un professeur spécialiste de l’épistémologie du corps et auteur d’une quarantaine d’ouvrages.

En conclusion de son article, le journaliste révèle que ses investigations au sein de la communauté scientifique de l’université d’Angers l’ont mené jusqu’à un mouvement ésotérique mystique, Omalpha et à une secte russe Ashram Shambala dont le gourou est actuellement jugé en Russie « pour diverses activités criminelles, en particulier dans des réseaux de prostitution ».

Source : Sciences et Avenir, Olivier Hertel, novembre 2012