Treize ans de souffrance en vase clos

Durant treize années une jeune femme, aujourd’hui âgée de 34 ans, aurait subi des agressions sexuelles de son père avec la complicité présumée de sa mère. Elle témoigne dans les colonnes du Figaro du calvaire qu’elle a enduré de ses 8 ans jusqu’à ses 21 ans. Elle fait part également de son inquiétude quant aux conséquences qu’aura son action en justice parmi les membres de la congrégation des Témoins de Jéhovah dont elle fait partie.

Les faits s’étant déroulés il y a moins de trente ans, la plainte déposée en 2019 par la jeune femme a donné lieu à l’ouverture d’une enquête. Cette dernière étant toujours en cours, en décembre 2021 la jeune femme s’est constituée partie civile dans l’espoir « d’accélérer les procédures et faire en sorte qu’un juge d’instruction soit nommé ».

Ayant grandi dans un climat incestueux, selon la tante de la jeune femme, le père aurait entretenu une atmosphère très sexualisée au sein de son foyer. Il déambulait nu dans leur appartement, demandait à la jeune fille de laisser la porte de la salle de bain et des toilettes ouvertes, l’obligeait à porter tout le temps des robes ou des jupes pour honorer Dieu.

Si le père a démenti les accusations de sa fille lors d’une audition auprès de la police le 4 mai 2021, la jeune femme raconte que « l’échelle de perversité » a été bien au-delà. L’homme lui impose des caresses sur tout le corps, lui pince les seins et les fesses, pire encore, lui fait subir divers sévices sexuels avec une multitude d’objets.

Interrogé plusieurs fois en 2019, son frère n’a pas démenti les accusations de sa sœur expliquant qu’ « avec elle il ne faisait que parler de sexe ».

Selon la jeune femme, sa mère aurait été au courant des agressions de son mari, mais n’aurait rien fait pour les faire cesser. Assistante maternelle, elle a perdu son agrément pour des raisons qui ne sont pas citées dans l’article. La jeune femme accuse aussi son père d’avoir eu des gestes déplacés envers des enfants, même si à ce jour rien ne le confirme.

A tout cela s’ajoutait la terreur inspirée par son père lors de ses crises liée à ses croyances en la fin du monde. Ce membre des Témoins de Jéhovah, se levait la nuit pour parler du diable, aurait forcé ses enfants à crier « je t’aime Jéhovah » les secouant et les menaçant de mourir lors d’Armageddon s’ils le faisaient mal.

Ils vivaient dans le cercle très restreint d’une communauté Témoins de Jéhovah, et pour la jeune fille les autres membres étaient au courant de ces violence, mais « tout a toujours été géré en interne ».

En effet, à la suite d’une dispute avec son père, son frère a avoué à un Ancien chargé de surveiller la famille que sa sœur avait été abusée. Malgré sa rétractation, un comité judiciaire confrontant son père et sa sœur a été organisé au cours duquel l’homme a déclaré : « Je ne m’en souviens pas, mais si je l’ai fait je m’en excuse ». Un membre du comité a conseillé à la jeune femme de porter plainte, mais les autres lui auraient dit de « ne plus en parler au motif que de telles dénonciations allaient salir le nom de Dieu et de la communauté et, qu’après tout, son père s’était excusé ». Il a pu poursuivre le porte-à-porte.

Si le groupe explique que les comités judiciaires n’ont pour objectif que de décider de sanctions envers un membre ayant commis une faute et affirme ne pas interférer avec « la procédure judiciaire devant les autorités », dans les faits, il est difficile pour des adeptes d’oser aller contre les directives du groupe.

Le Figaro cite quelques textes internes incitant les adeptes à s’en remettre entièrement aux décisions des Anciens comme un ancien numéro de la Tour de Garde datant de 1995 dans lequel on lit  : « S’il y a de bonnes raisons de penser que l’agresseur présumé commet toujours des agressions sur des enfants, il faudra peut-être lui donner un avertissement. Dans une telle circonstance, les anciens de la congrégation peuvent apporter leur aide. Mais si ce n’est pas le cas, ne vous précipitez pas. Avec le temps, vous vous accommoderez peut-être de ne pas donner suite à l’affaire ».

Lorsque l’histoire de la jeune femme a été rendue publique le Bethel a fait part de sa compassion. Mais, encore membre du groupe, elle s’inquiète du retentissement que l’affaire aura dans sa communauté car elle craint des représailles et l’excommunication. Elle craint surtout de mourir pour avoir trahi Jéhovah.

Son avocate maitre Shebabo souligne que « ce contexte communautaire, de non-dénonciation de crime, est très important et différencie cette affaire des autres affaires d’inceste ». 

(Source : Le Figaro, 08.04.2022)

  • Auteur : Unadfi