Qui veut gagner des millions ?

Les mormons ne laissent filtrer que très peu d’informations sur les revenus de l’Eglise. C’est pourquoi, le livre de l’historien D. Michael Quinn, « Mormon Hierarchy : Wealth & Corporate Power » qui retrace les hauts et les bas financiers du groupe depuis sa fondation jusqu’à 2010, a fait grand bruit lors de sa sortie aux États-Unis en août 2017.

Il y a deux ans, certains mormons se sont émus de voir leur église construire un centre commercial de 1,5 milliards de dollars dans le centre-ville de Salt Lake City et entendre leur prophète proclamer : « Allons faire du shopping ».

Pourtant selon Michael Quinn cela n’est pas en opposition avec les fondamentaux de l’Église. En effet, « le mouvement a toujours considéré sa mission comme répondant aux besoins spirituels et physiques de son peuple. Il ne fait pas la distinction entre les deux ».
L’Église, lancée en 1 830 avec 3 000 dollars (l’équivalent de plus de 72 000 dollars en 2010) dans l’État de New York par six membres, en compte, aujourd’hui près de 16 millions dans le monde. Selon les estimations de M. Quinn, l’Église aurait récolté 33 milliards de dollars en 2010 et aurait 15 milliards de dollars par an de retour sur investissements.

L’histoire financière du groupe n’a pas été un long fleuve tranquille. Il a connu des cycles de quasi faillite tous les 20 à 30 ans jusqu’à ce qu’il trouve finalement sa base économique dans les années 1960.

Les conditions économiques ont incité Joseph Smith à créer un système de partage des ressources, connu sous le nom de « loi de consécration ». Les membres devaient verser leur revenu excédentaire dans un pot commun, mais l’argent ne rentrant pas régulièrement, Lorenzo Snow, le cinquième président, rendit la dîme obligatoire pour avoir accès aux temples. Une fois les caisses renflouées, le groupe s’est lancé dans une importante campagne de construction. Mais à partir de 1959, le déficit était tel que les dirigeants ont décidé de ne plus publier les comptes de l’Église pour ne pas inquiéter ses membres. En 1962, avec 33 millions de dollars de perte, les dirigeants font appel à Eldon Tanner, un « apôtre » canadien qui réduira les projets de construction et favorisera les investissements dans des entreprise privées.

L’Église prend en charge de nombreuses dépenses. Si la construction de temples et de nouvelles chapelles était autrefois à la charge des membres locaux, c’est aujourd’hui le siège de Salt Lake City qui l’assume. Il subventionne également le coût des missions mormones à l’étranger et fournit beaucoup plus d’aide humanitaire qu’auparavant.

Le livre de Quinn ne révèle pas de fonds occultes cachés, de dépenses personnelles fâcheuses ou de malversations aux plus hauts niveaux. Cependant l’anthropologue Daymon Smith de l’Utah Valley University ne partage pas l’avis de M. Quinn sur les salaires des dirigeants et se demande pourquoi l’Église continue de garder ses finances secrètes.

Michael Quinn a obtenu des informations sur les finances de l’Église pour 2010 dans six pays qui exigent la publication des comptes des églises ou des organismes de bienfaisance : Australie, Canada, Nouvelle-Zélande, les Philippines, les Tonga et le Royaume-Uni. Les rapports donnent un aperçu des dépenses du siège de Salt Lake City à l’étranger. Les actifs combinés dans ces six pays se montent à 1,8 milliard de dollars en 2010. L’étude de M. Quinn révèle que l’Église a envoyé 166 728 de dollars au Canada, tandis que celle des Philippines a reçu 63,8 millions de dollars du siège, soit 85% de ses revenus. M. Quinn constate que « même dans un pays développé comme le Royaume-Uni, qui abrite presque autant de mormons qu’au Canada, l’administration centrale a envoyé 1,8 million de dollars en 2010, ce qui indique que l’infrastructure de l’église dépasse ce que les sections locales peuvent supporter.

Concernant la dîme, le site Web de l’Eglise explique que les membres donnent la dîme à leurs dirigeants locaux. « Ces dirigeants locaux transmettent les fonds de la dîme directement au siège de l’Eglise, où un conseil détermine des façons spécifiques d’utiliser les fonds sacrés ». « Ces fonds, ajoute le site Web, sont toujours utilisés pour le Seigneur – construire et entretenir des temples et des lieux de réunion, soutenir le travail missionnaire, éduquer les membres de l’église et poursuivre l’oeuvre du Seigneur dans le monde entier ».

Pourtant, Gina Colvin, une chercheuse mormone Néo-zélandaise, s’inquiète de la façon dont le siège choisi d’investir les dîmes récoltées. Elle craint que l’argent des membres soit orienté vers des projets immobiliers, comme en Nouvelle-Zélande où l’Eglise a fermé le Church College alors qu’elle envisage de développer l’achat de propriétés à usage privé.

(Source : Salt Lake Tribune, 14.10.2017 & 15.10.2017)