Les Témoins de Jéhovah interdits

Le 20 avril 2017, la Cour suprême de Russie a rendu son verdict dans une affaire opposant le ministère de la Justice russe aux Témoins de Jéhovah (TJ) de Russie. Débutées le 5 avril les audiences devaient permettre de statuer sur le caractère extrémiste de l’organisation et son interdiction. Considérant que les pratiques du groupe violent la loi fédérale contre les activités extrémistes, la Cour a décidé de répondre favorablement à la demande du ministère de la Justice en interdisant les Témoins de Jéhovah. Ils ont fait appel de la décision, mais le 24 avril 2017 le tribunal du quartier Zamoskvoretski de Moscou a entériné la décision de la Cour suprême.

Le ministère de la Justice russe avait porté plainte le 15 mars 2017 devant la Cour suprême de Russie pour réclamer la fermeture et la confiscation des biens du siège national des Témoins de Jéhovah de Saint- Pétersbourg, de leurs 395 organisations locales et de leurs 2 300 congrégations. En outre le ministère avait également demandé que l’organisation figure sur la liste des organisations extrémistes.

Les TJ étaient accusés « de diffuser de la littérature interdite, de ne pas appliquer les mesures de prévention contre les manifestions extrémistes, et de financer des organisations régionales déjà interdites par la loi ». Selon Svetlanba Borisova, une représentante du ministère de la Justice, les TJ « représentent une menace aux droits des citoyens, à l’ordre public et à la sécurité publique ».

Selon la Cour, le refus de transfusion sanguine représente une menace pour la santé. De plus l’idée selon laquelle leur croyance serait meilleure que les autres violerait la législation sur l’anti-extrémisme. Le refus de s’impliquer dans la vie politique (refus de vote, de participer aux cérémonies commémoratives) est perçu comme suspect par l’État russe, et ce d’autant plus que le groupe est originaire des États-Unis. La pratique de l’ostracisme est également une pratique mal acceptée en Russie où la notion de famille est très importante. Pour la Cour tout cela pourrait constituer un risque de trouble à l’ordre public.

Pour les 175 000 fidèles du mouvement, cette décision entraîne un risque de deux à six ans de prison s’ils confessent leur foi en public (prosélytisme, porte à porte).

Historique de l’interdiction

Cela fait une dizaine d’années que le groupe est dans le collimateur de l’État. En 2004, la Russie avait déjà ordonné la dissolution d’une branche des Témoins de Jéhovah, ce qui lui avait valu d’être condamnée, en 2010, par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) à payer 70 000 euros de dommages et intérêts au groupe. A partir de 2015, la pression de l’État russe sur le groupe s’est intensifiée, plusieurs adeptes ont été jugés pour extrémisme et condamnés à des peines de prison avec sursis. La même année plusieurs congrégations ont été interdites. Les interdictions se sont poursuivies en 2016. Au début de l’année 2016, 88 de leurs publications ont été inscrites sur la Liste Fédérale des Documents Extrémistes (LFDE). Leur seule présence dans un centre TJ pouvait justifier sa fermeture.

Le 2 mars 2016, le procureur général adjoint, M. Grin, a prévenu la maison mère qu’elle risquait d’être dissoute si de nouvelles preuves d’actions extrémistes étaient découvertes dans les 12 mois suivant cette mise en garde. En octobre 2016, le tribunal de Moscou a émis un nouvel avertissement et a demandé aux TJ de se mettre en conformité avec la loi sous peine d’interdiction.

Le 16 janvier 2017, un tribunal de Moscou a confirmé aux TJ son avertissement. Mais selon le ministère de la Justice ils n’ont pris aucunes mesure pour changer. Sachant que la seule autorité reconnue par le mouvement est Jéhovah, pouvaient-ils vraiment changer ? Comme l’explique un représentant américain du mouvement, Tyrie Jone, « Nous n’avons pas la certitude qu’il existe un gouvernement humain qui soit capable de traiter toutes les questions complexes que nous avons en tant qu’humains ». Il ajoute : « c’est une chose à laquelle nous sommes fidèles, même en Russie. Nous avons un gouvernement qui, selon nous est supérieur à tout gouvernement humain.

Au début de l’année 2017, la Cour suprême avait également confirmé les fermetures de plusieurs groupes locaux dans une dizaine de villes.

Outre l’État, l’un des artisans de cette interdiction est une association appelée « Urgence Jeunesse ». Son fondateur a créé une branche spécifique de lutte contre les sectes après avoir été démarché chez lui par des TJ. Pour lui, les idées de la Watch Tower sont dangereuses pour les citoyens et pour l’État Russe. Les grandes religions institutionnelles perçoivent elles aussi les TJ comme une menace.

Les réactions à l’interdiction

Les TJ sont présents depuis près de 100 ans en Russie. Jusqu’en 1991, date à laquelle ils ont été officiellement enregistrés, ils agissaient dans la clandestinité. Après la chute de l’Union Soviétique, le groupe a profité d’une liberté sans précédent et le nombre de ses adeptes est passé de 45 000 à près de 145 000 en dix ans.

Les TJ se défendent en expliquant qu’ils sont l’objet d’une répression politique similaire à celle qu’ils subissaient sous le régime communiste de Staline. Ils affirment que les services de sécurité russes fabriqueraient de fausses preuves, par exemple en dissimulant des publications interdites dans des Salles du Royaume qui sont ensuite perquisitionnées. Des anciens auraient été filmés secrètement lors de leur office cultuel et auraient été arrêtés suite à des accusations d’incitation à la haine et pour avoir bafoué la dignité humaine.

Les TJ du monde entiers se sont mobilisés et ont envoyé de nombreux courriers pour faire pression sur ministère de la Justice et sur les membres du gouvernement russes. Selon le représentant belge du mouvement, ils ont été si nombreux que cela aurait engorgé les bureaux de poste.

Sur la scène internationale, les réactions sont nombreuses. L’Union Européenne, La Commission d’Helsinki, la Commission des États-Unis sur la liberté religieuse internationale, condamnent, au nom des droits de l’homme et du respect de la liberté religieuse, les mesures prises par l’État russe.

Les associations de défense des droits de l’homme soupçonnent l’État russe d’utiliser les TJ pour envoyer un message à ceux qui n’iraient pas dans son sens. D’autres pensent que c’est une façon pour l’État russe de faire main basse sur le considérable patrimoine immobilier de l’association.

Lloyd Evans, ex-Témoin de Jéhovah, pense que l’interdiction risque d’être contre-productive. Il craint que cela nourrisse leur récit de persécution et mène les adeptes à la clandestinité avec pour conséquence de laisser les abus commis par le groupe échapper à tout contrôle. Steven Hassan, quant à lui, affirme que la menace du gouvernement ne fera qu’accentuer leurs croyances et accroître leur fidélité au groupe. Cela ne sera qu’une preuve de plus qui confirmera que le monde extérieur est dangereux.

Selon Llyod Evans, l’interdiction ne fera que renforcer la Direction du mouvement en leur donnant raison sur l’imminence de la « Grande Tribulation ». Pour lui l’information fait bien plus de ravages dans les rangs des Témoins de Jéhovah que la répression. Rien que pour l’année 2016, le nombre d’adeptes russe a diminué de 2562 par rapport à l’année précédente.

(Sources : Évangéliques info. 28.03.2017, Newsweek, 06.04.2017, RTL.be, 12.04.2017, The Washington Post, 14.04.2017, Bloomberg, 21.04.2017, New York Times, 04.04.2017, Courier international, 21.04.2017, Johnston Sun Rise, 30.03.2017, News Week, 21.04.2017, Huffington Post, 04.04.2017) 

La loi contre l’extémisme

Promulguée en 2002, la loi contre les activités extrémistes a pour but de lutter contre la menace terroriste. Elle considère comme extrémiste tout discours religieux, toute littérature ou activité affirmant la supériorité d’une religion par rapport à une autre. Les législateurs ont dressé une liste nationale des documents extrémistes interdits. Depuis 2006, elle inclut les actes non-violents de désobéissance civile. En 2016, la loi s’est durcie. Désormais tout individu ayant connaissance d’activités extrémistes ou de leur préparation sera puni s’il ne les dénonce pas. De plus, en ce qui concerne le domaine religieux, seules les organisations enregistrées auprès des autorités peuvent avoir une activité missionnaire et seulement dans des lieux spécifiques. Ce qui de facto interdit le porte-à-porte pour les Témoins de Jéhovah. Enfin la responsabilité pénale est passée à 14 ans pour 32 délits.
(Sources : Libération, 05.07.2016 & Observatoire de la Liberté religieuse, Rapport 2016)