L’influence d’Etienne Guillé

Comme bon nombre de mouvements sectaires,La Grande mutation promettait la vie éternelle à ses adeptes. Charismatique et muni d’un impressionnant CV1, son leader, Etienne Guillé, n’a pas eu de difficulté à convaincre ses quelque 200 membres qu’il pouvait soigner les maladies grâce aux vibrations. Aujourd’hui mis en examen avec quatre autres responsables du mouvement, Etienne Guillé semble avoir posé de solides bases pour que son groupe continue de fonctionner.

Alain, un ex-adepte, se souvient de son premier séminaire. Il n’avait pas compris grand-chose aux énergies vibratoires, au double céleste transterrestre… mais restait intéressé voire fasciné par ce qui s’y passait. Etienne Guillé l’avait également impressionné : un homme captivant qui parlait de ses nombreuses recherches et étalait une impressionnante culture. Ainsi, le gourou n’avait aucune difficulté à faire croire qu’il avait fait le tour de 22 planètes ou que les maladies telles que le cancer sont dues à un déséquilibre des énergies vibratoires… Pour asseoir sa doctrine, il publie L’Alchimie de la vie, théorie ésotérique sur l’ADN et les métaux alchimiques. Pour consolider le groupe, il embrigade sa famille, comme sa fille, férue de psychologie, et son gendre. Guillé a également réussi à recruter des professionnels de santé donnant une
caution scientifique à ses propos.2 

La redoutable influence d’Etienne Guillé a en effet détruit des dizaines de personnes et leurs familles. Dans le monde qu’Etienne Guillé décrit, il y a deux catégories d’hommes : ceux qui appartiennent à la race finale destinée à la vie éternelle – les élus de la secte -, et les autres, les « prédateurs ». L’entourage des adeptes fait naturellement partie de cette dernière catégorie. Une femme s’est entendue dire qu’elle devait couper les ponts avec son mari et son garçon de 9 ans : « Tu vis trop ton fils dans la continuité de ton corps de chair. […] Ton fils ne peut pas t’accompagner », sinon « ton soleil va décliner ».

Les membres de La Grande mutation sont soumis à certaines pratiques. Durant les « séances individuelles », les adeptes subissent une sorte d’interrogatoire dirigé par Guillé ou l’un de ses cadres. Les « systémies » sont des interminables monologues de Guillé. Les adeptes sont tenus d’assister, à des séminaires, au moins une fois par mois, à la condition qu’ils glissent « 0, 10 ou 100 euros » dans une enveloppe où ils doivent inscrire leur nom. Les dons font partie intégrante des pratiques du groupe : pour accéder à l’éternité, il faut rejeter la société matérialiste, se délester de son héritage, de sa bague de fiançailles…

En 2008, la mort de Patricia Guillé est venue perturber la communauté. Atteinte d’un cancer du
sein, elle refuse tout soin et lorsqu’elle se décide à consulter un médecin, il est trop tard. Puis Etienne Guillé est à son tour victime d’une maladie qui l’empêcherait de se déplacer. Il intervient grâce à un téléphone branché sur haut-parleur ou s’exprime à travers Sylvie, une kinésithérapeute devenue kinésiologue lui servant d’enveloppe corporelle. Ces évènements vont déclencher une vague de paranoïa parmi les adeptes.

La CAIMADES, cellule de la police judiciaire affectée aux dérives sectaires, a reçu quatorze plaintes et quinze signalements depuis 2012. L’enquête a abouti à la mise en examen d’Etienne Guillé et de cinq cadres de La Grande mutation pour abus de faiblesse et corruption de mineur. Parmi les cinq cadres mis en examen, il y a le gendre de Guillé, son petit-fils, Sylvie et un chercheur enseignant la biologie moléculaire à la faculté de Jussieu (Paris).

Ces arrestations n’ont fait que conforter les adeptes dans leurs croyances. Guillé les avait mis en garde contre « Magagaugas », un complot ourdi par les magistrats, les policiers et les médecins. La relève d’Etienne Guillé est assurée. Il s’agit d’un ancien ingénieur en hydrodynamique reconverti en naturopathe prénommé Thierry. Il assure que La Grande mutation n’est en rien une secte.

(Source : Temps réel/Nouvel Obs, 04.10.2015)
 

1- Agrégé de physiologie et de biochimie, Etienne Guillé a été chercheur au CNRS et a enseigné à la faculté d’Orsay jusqu’au début des années 1980..

2- La famille d’une adepte est persuadée que c’est un médecin homéopathe acupuncteur qui l’a recrutée. Connu du conseil départemental de l’Ordre des médecins de Côte-d’Or, il avait été interdit d’exercer pendant trois ans en 2003 : « Il manipulait son pendule au dessus de photos de patients en échange de chèques. Il se disait homéopathe acupuncteur mais ses activités
relevaient du charlatanisme ».

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