Chili / Sur les traces de la Colonia Dignidad

Lucia Newman, journaliste d’Al Jazeera, s’est rendu au Chili pour retracer l’horrible histoire de la Colonia Dignidad.

Les membres de cette secte allemande vivaient dans une enclave dans le sud du Chili encore sous la dictature de Pinochet. Son leader, Paul Schaefer, était un ancien infirmier de l’armée nazie.

Son opposition à Allende, arrivé au pouvoir en 1970, l’a conduit à faire de sa « colonie » un terrain d’entraînement secret pour les groupes paramilitaires d’extrême droite.
En 1973, lorsque le leader socialiste fut renversé par un coup d’État militaire, Schaeffer a forgé une alliance sinistre avec l’armée chilienne.

Plusieurs années plus tard, on apprenait que la « colonie » avait été le siège d’une série de tortures expérimentales de quelques 300 allemands.

Quelques-uns ont réussi à s’échapper du camp et à repartir en Allemagne où ils ont pu décrire l’horreur de ce qu’ils avaient vécu : punis, exploités, drogués de force… tout un arsenal de méthodes pour les garder sous contrôle. Ces rescapés n’ont pas hésité à comparer la Colonia Dignidad à un camp de concentration.

En 1990, comme d’autres journalistes, Lucia Newman a tenté de pénétrer dans la colonie : ils ont été accueillis à coup de fusil.

La démocratie revenue, le gouvernement a ordonné l’annulation du statut d’organisme de bienfaisance qui avait été accordé à la Colonia Dignidad mais ne l’a pas dissoute.
En 1996, un avocat, Hernan Fernandez, a accusé Paul Schaeffer d’avoir abusé sexuellement de dizaines de jeunes garçons allemands et chiliens. En 2006, Schaeffer a été arrêté et emprisonné.

Une fois les portes de la colonie ouvertes, on a découvert les corps de plusieurs dizaines de prisonniers politiques chiliens. Une cache d’armes a également été repérée.

Hernan Fernandez a également révélé que Schaeffer aurait tenté de l’assassiner avec une arme chimique. Selon ses allégations, Pinochet était prêt à utiliser des armes chimiques, produites dans la colonie, en cas d’attaque de l’Argentine. Il existerait au moins des preuves crédibles que des armes biologiques ont bien été utilisées pour éliminer les opposants chiliens.

Plus récemment, Lucia Newman a enfin obtenu l’autorisation de filmer à l’intérieur de la Colonia Dignidad. Rebaptisée Villa Baviera, elle est aujourd’hui un lieu de villégiature, avec son hôtel et son restaurant. Faussant la compagnie à l’accompagnateur officiel, la journaliste entreprend une discussion avec Helmut.

Helmut Schaak a 50 ans. Il parle avec un fort accent allemand. C’est enfant qu’il est arrivé au Chili. Il vient tout juste d’obtenir l’autorisation de se marier mais il craint cet engagement. Coupé de l’extérieur, avec la peur de quitter l’enclave et de s’aventurer dans « un monde inconnu », il n’a aucune idée de ce qu’est une « famille normale ».

L’enquête de la journaliste a été possible grâce à l’aide de Volker Petsoldt, ancien haut fonctionnaire de l’ONU qui a passé des années à enquêter sur la Colonia Dignidad, et de Winfried Hempel, un homme né dans la colonie et dont l’histoire a révélé l’étendue des horreurs du camp.

Dans le procès qui oppose Winfried Hempel, et plus de cent autres anciens de la Colonia Dignidad, aux états chilien et allemand, les victimes ont reproché d’avoir négligé la situation, voire même d’avoir été complices des agissements de Schaeffer durant quarante ans.

Au terme de son enquête, Lucia Newman regrette de n’avoir pas pu répondre à toutes les questions : pourquoi Schaeffer a-t-il pu échapper à la prison pendant des années ? Jusqu’où s’étend son réseau de protection ? Pourquoi ses victimes ne se sont-elles pas rebellées ? Et que leur est-il arrivé depuis ?

Source : Al Jazeera, Lucia Newman, 07.11.2013

Lire sur le site de l’UNAFDI : « Colonia Dignidad : gourou tortionnaire et pédophile »