Face aux dérives sectaires, l’union fait la force

Dans son bulletin d’information, l’Ordre national des médecins consacre un long article aux menaces sectaires dans le domaine de la santé.

Le Dr Patrick Romestaing, président de la section Santé publique et Démographie médicale du Conseil national de l’Ordre des Médecins (Cnom), note que le mode de vie dans une communauté sectaire est susceptible de provoquer des problèmes de santé en raison de carences alimentaires ou de manque de sommeil, « qui sont des façons d’asservir l’individu ».

Le médecin signale ainsi que l’UNADFI mentionne, sur son site internet, le cas d’une jeune femme de 20 ans atteinte d’un cancer qui, en 2010, est décédée « à la suite d’une randonnée effectuée en jeûnant sur les conseils d’un guérisseur ».

Est également évoquée « la prise en charge psychologique » par certains mouvements ou pseudo-thérapeutes qui finissent par convaincre les patients qu’ils ont refoulé des souvenirs d’abus sexuels. Ces faux souvenirs induits conduisent à de fausses accusations et à des ruptures familiales
Faux souvenirs induits. Consulter sur le site de l’Observatoire zététique :
_ [Faux souvenirs et manipulation mentale

_ [Arnold Wesker – Souvenirs Fantômes.]]

Le Dr Patrick Romestaing évoque les « interrogations » qu’un médecin peut avoir lorsque l’un de ses patients veut arrêter les « thérapeutiques classiques » ou lorsqu’il constate que le patient suit « des thérapeutiques non conventionnelles exclusives. Son rôle est d’abord d’être auprès de cette personne, « de lui expliquer les risques de son attitude, même si chacun est libre de ses choix ». Il faut, explique-t-il, maintenir le contact avec ce patient qui est parfois isolé et coupé de son entourage « dans le droit fil de la stratégie des mouvements sectaires ».

De son côté, la Miviludes note une montée en puissance des signalements en matière de santé. Les malades du cancer, les parents d’enfants autistes, hyperactifs ou rencontrant des difficultés constituent des cibles pour les groupes sectaires.
Lors d’une interview, Hervé Machi, secrétaire général de la Miviludes, signale que le secteur de la santé représente 25 % de l’ensemble des signalements et que ce pourcentage est en augmentation constante. La Miviludes observe une multiplication du nombre de pseudo-thérapeutes « qui parviennent à mettre des malades sous emprise mentale » les incitant à rompre avec leur traitement conventionnel. Certains d’entre eux, médecins, n’ont pas hésité à se faire radier de l’Ordre pour ne plus risquer de subir « des sanctions ordinales ». Ils restent toutefois passibles de poursuites pour « exercice illégal de la médecine, escroquerie, blessures, voire homicides involontaires ». La Miviludes compte une dizaine de cas de ce type.
La Miviludes travaille actuellement à la rédaction d’un guide destiné aux praticiens de la santé, pour les aider à identifier les pratiques douteuses et à agir « utilement en cas de doute ». Ce guide qui paraîtra au premier trimestre 2012, est réalisé en partenariat avec le Cnom qui siège au conseil d’orientation de la Miviludes.

 

La section Santé publique et Démographie du Cnom

La section Santé publique et Démographie qui dispose d’une vue d’ensemble du territoire, a ainsi été en mesure de constater des actions de la Fédération de médecine chinoise dans toute la France, actions signalées à la Miviludes.
_ Fin 2010, le CNOM formalisait son action en demandant à chaque conseil départemental de l’Ordre des médecins de désigner un référent « dérives sectaires ». Le Dr Romestaing rappelle que ces « référents » sont incités à participer aux réunions « dérives sectaires » organisées par le préfet de département, généralement une à deux fois par an, qui rassemblent le procureur de la République, des représentants de l’Education Nationale, de la formation professionnelle, de l’Agence régionale de santé…

Agir en partenariat s’avère « indispensable »

Par ailleurs, le Docteur Romestaing souligne que le Cnom a tout intérêt à travailler en partenariat avec la Miviludes et à se rapprocher des ADFI ou de l’UNADFI, notamment en raison de la propension qu’ont les groupes sectaires à déménager et à changer de nom lorsqu’ils ont été « repérés ». Agir en partenariat s’avère « indispensable » car les interventions menées conjointement « ont plus de chance d’aboutir ».

 

 

Colloque

 

Le 21 septembre 2011, tous les « référents » étaient conviés à un colloque auquel ont participé Hervé Machi, secrétaire général de la Miviludes, Catherine Picard, présidente de l’UNADFI et Catherine Katz, magistrate et ancien secrétaire général de la Miviludes.
_ 78 conseils départementaux y ont participé, sur un total de 103. Un constat est apparu au cours du colloque : police et justice « réagissent peu » aux courriers envoyés par les médecins car l’exercice illégal de la médecine reste difficile à expertiser et « à l’issue des actions qu’il mène, l’Ordre est souvent déçu et perd toute motivation, eu égard au niveau de condamnation assez faible qui frappe les personnes que nous essayons de poursuivre », déclare le Dr Romestaing.

Catherine Picard, présidente de l’UNADFI s’est exprimé sur la notion de partenariat entre les conseils départementaux de l’Ordre des Médecins et les ADFI, ce qui ne peut que favoriser l’efficacité des actions de prévention des dérives sectaires. De fait, les conseils départementaux « qui ont des doutes face à des pratiques non conventionnelles » contactent très souvent les ADFI locales.
_ Elle souligne que ce sont les « preuves » qui manquent le plus fréquemment mais les témoignages recueillis dans les ADFI restent des éléments importants pour étayer un dossier. Elle rappelle enfin que l’UNADFI possède un fonds documentaire important et peut fournir des monographies sur des mouvements sectaires. Plus les affaires sont étudiées en amont avec la police, l’Ordre des Médecins et avec des témoignages de médecins pouvant attester des faits, plus la procédure judiciaire aura des chances d’aboutir.

Source : Bulletin d’information de l’Ordre national des médecins,
n°21 janvier-février 2012