Conséquences en chaîne d’une théorie du complot

Karen, une autrice retraitée de 56 ans, vivant à Ottawa (Canada) et victime de harcèlement en ligne de la part d’adeptes de théories du complot, a raconté sa malheureuse expérience au quotidien d’information britannique Metro.

L’histoire remonte à 2014, mais a encore des répercussions aujourd’hui. En septembre de cette année, une vidéo circule dans laquelle deux enfants scolarisés à Hampstead (quartier du nord de Londres) racontent avoir subi des sévices sexuels, nommant leur père, les professeurs de leur école et d’autres adultes comme responsables. A cela s’ajoutait des détails choquants sur la façon dont le groupe se fournirait en bébés en vue de les sacrifier.

La mère des enfants était une professeure de yoga d’origine russe. Elle et son conjoint soutenaient la version de ce récit, affirmant que le père des enfants était à la tête d’un groupe qui commettait des sacrifices humains. A la suite d’une enquête de police et de trois entretiens avec les deux enfants, il s’est avéré que la maman et son conjoint avaient violenté les enfants jusqu’à ce qu’ils acceptent de raconter ces mensonges devant la caméra.

Un jugement rendu par la suite par la Haute Cour de Justice apportait un démenti catégorique aux allégations de sacrifices d’enfants par des habitants et des professeurs de Hampstead. En dépit du jugement prononcé, la rumeur a persisté. En cause, Sabine McNeill, une femme qui avait travaillé de manière informelle auprès du couple en tant que conseillère juridique, et qui était persuadée que l’Etat cherchait à dérober les enfants de leur famille pour les sacrifier. Cette femme exigeait que les enfants soient rendus à leur mère, menaçant de divulguer des informations compromettantes. Le juge n’avait pas cédé à ce chantage, et McNeill avait envoyé à un bloggeur une liste contenant l’adresse du domicile, l’adresse du lieu de travail et les coordonnés de 175 adultes accusés de faire partie de cette secte pédo-sataniste imaginaire. Elle a également à nouveau posté la vidéo du témoignage fabriqué des enfants.

C’est alors qu’a débuté le harcèlement en masse des parents d’élèves. Des personnes venaient en nombre harceler les parents aux abords de l’école, et manifestaient devant l’église locale, proférant des propos menaçants.

Ignorant tout de cela, Karen continuait à alimenter son blog personnel, postant un article à propos d’un artiste dont elle voulait faire la promotion. Cet artiste fréquentait régulièrement l’église de Hampstead, et il n’en fallut pas plus pour que Karen devienne du jour au lendemain la cible de menaces et d’insultes des adeptes du « Hampstead Hoax », le canular de Hampstead.  Elle se rappelle avoir reçu des centaines de courriels contenant des menaces de morts, ainsi que la photo d’une tête d’homme égorgé. Une même personne lui a envoyé 855 courriels l’accusant d’être une pédophile sataniste tueuse et mangeuse de bébés. « Je craignais de sortir de ma maison. Je sursautais très facilement. J’avais tous les symptômes du stress post-traumatique, et j’étais sous médicaments pendant quelque temps après ça », confie-t-elle.

Elle a alors contacté les parents victimes également de ce harcèlement : « j’ai parlé à un parent qui avait été pris pour cible. Il m’a dit que les enfants ne pouvaient plus aller nulle part sans un adulte ; ils devaient s’équiper de traqueurs GPS. Cela a gâché de nombreuses enfances. »

Après de multiples échanges avec les parents, Karen a fondé Hoaxtead Research blog, un blog qui a permis la mise en place d’un réseau de parents qui comme elle se battent contre la diffusion de la vidéo du récit inventé des deux enfants et s’attèlent à amasser des preuves contre les calomniateurs avec l’intention, un jour, de les poursuivre en justice.

Le travail de ce réseau a permis qu’en 2019 la complotiste Sabine McNeill soit condamnée à 9 ans de prison pour le rôle joué dans la diffusion du « Hampstead Hoax » et pour de multiples cas de harcèlement ayant abouti à de graves dommages. Quant au couple, il a quitté le pays et disparu.

En 2021, l’homme qui avait envoyé 855 courriels à Karen est passé devant les tribunaux. Il a plaidé coupable des trois chefs d’accusation de harcèlement et a fait l’objet d’un placement en hôpital pour une durée indéterminée. 

« Il est possible de se confronter à des criminels. Mais il est autrement plus compliqué de parler de façon raisonnée avec ces personnes qui appartiennent à ce qui équivaut à une secte du net. Mais je sens que le vent tourne et que les gens commencent à se rendre compte du pouvoir d’Internet lorsqu’est diffusé et alimenté ce type de violence », déclare Karen. 

(Source : metro.co.uk, 06.10.2022)

  • Auteur : Unadfi