L’enfer des Béatitudes

L’heure est venue où les dirigeants des Béatitudes obtiennent officiellement la reconnaissance des nouveaux statuts de la communauté. Le pape lui-même, Benoît XVI, a « approuvé » cet acte de reconnaissance. En conséquence, tout « fidèle » des Béatitudes qui fera vœu « de pauvreté, chasteté et obéissance » aura le droit de porter l’habit religieux reconnu par l’Eglise.


Cette « consécration » pourrait aider les Béatitudes à faire oublier les scandales qui ont éclaboussé son nom. Il y a quatre ans, des membres ont commencé à raconter ce qui se déroulait à l’intérieur de la communauté. Des révélations qui ont provoqué le départ du fondateur, le « très charismatique » Gérard Croissant, alias Ephraïm.

C’est de l’abbaye Bonnecombe dans l’Aveyron que sont venus « les premiers récits ». Il y a trois ans, quarante membres dont des familles avec enfants, un prêtre et sept sœurs « consacrées » y vivaient. Aujourd’hui, seuls, le prêtre Jean-Baptiste et trois laïcs y demeurent encore. Les dirigeants des Béatitudes, appelés « les bergers » les ont dénoncés comme étant « possédés du diable » !

Le premier de ces « possédés », Alain Legros, est l’ancien homme de confiance d’Ephraïm. Il a passé sa vie à son service « et en tire beaucoup de regrets ». Il confie avoir connu « tant de gens qui ont tout perdu, tant de souffrances, de suicides. » Il aurait souhaité que la vérité éclate avant que le Vatican reconnaisse la communauté ». Alain raconte également la généralisation des « exorcismes guérisseurs » conduits par Ephraïm. Ce dernier brandissait un crucifix et récitait des incantations pour « déloger le diable » qui se manifestait « dans un mal de tête, une banale sensation de fatigue, une insomnie ou des maux d’estomac ».

Alain ressent du remords d’avoir aveuglément obéi à Ephraïm et d’avoir poussé vers la sortie des personnes jugées indociles. Le climat qui régnait alors était très particulier. Ephraïm soutenait que la Vierge lui apparaissait chaque jour, que Sainte-Thérèse venait le visiter régulièrement et qu’il vivait « la passion du Christ » tous les vendredis ! Il prétendait encore avoir « en personne » assisté à certains miracles réalisés par le Christ dont une multiplication « de pains et de yaourts au chocolat » ! Et « tout le monde y croyait ».

Gisèle, une ancienne sœur de 59 ans, est la seconde irréductible à ne pas avoir quitté Bonnecombe. Lorsqu’elle avait prononcé ses vœux, elle avait remis tout ce qu’elle possédait à la communauté. Dans la plupart des neuf lieux en France et à l’étranger où elle vivra, Gisèle qui possède un diplôme d’infirmière, s’occupe de la gestion de la pharmacie. Elle constatera que des médicaments seront distribués sans ordonnances, dont des psychotropes, à tous ceux « qui posaient problème ».

Gisèle parle aussi des « nuits mystiques » mises en place par Ephraïm. Il avait « théorisé un cérémonial » pour « posséder le corps de certaines religieuses ». Il soutenait que « les femmes consacrées sont appelées à mettre leur libido dans le royaume de Dieu ». Une ancienne communautaire interrogée complète les informations sur ces unions mystiques qui, selon Ephraïm, étaient à la fois unions de prière et unions sexuelles, pratiquées « dans l’Eglise par Sainte Claire avec Saint François d’Assise ou le pape Jean-Paul II avec sœur Faustine Kowalska !! ».

Une jeune sœur qui a subi cette union mystique et qui s’est « enfuie » des Béatitudes depuis, tient à signaler que l’Eglise et les évêques savaient. Ils ont « dans leurs archives des piles de dossiers sur Ephraïm ». Dès 1992, l’ancienne communautaire avait alerté au téléphone Monseigneur Coffy, l’archevêque de Marseille. Ce dernier, après avoir envoyé des prêtres visiter la communauté, lui avait fait savoir qu’il n’agirait pas car si Ephraïm avait « débloqué », le reste de la communauté « était sain ». Elle devait donc garder le silence.

Enfin la troisième laïque toujours à Bonnecombe est Muriel. C’est elle qui, selon Ephraïm, a introduit Satan dans la communauté. Mais c’est surtout elle qui a dénoncé qu’un des frères de la communauté, Frère Philippe, s’était livré à des actes pédophiles sur plus d’une cinquantaine d’enfants.

Le procès du frère en question devait s’ouvrir cette année. Ceux qui avaient soutenu la dénonciation de Muriel : Alain, Gisèle et le père Jean-Baptiste ont reçu le 9 mai 2008 une lettre signée du père François-Xavier Wallays, le numéro deux des Béatitudes, leur apprenant qu’ils sont privés de leurs « droits d’engagés à la communauté », suite « à la médiatisation des aveux » de Frère Philippe.

Entre temps, en 2007, Ephraïm disparaissait de la communauté et un an plus tard, son nom était effacé de la hiérarchie. Parti au Rwanda, Ephraïm travaille avec une association belge d’aide aux enfants de Kigali. Mais sa présence dans le pays pose question au plus haut niveau de l’Etat. En 2008, la ministre des Affaires familiales envoie au président de la République et au Premier ministre une lettre mettant en cause ses « pratiques sectaires ».

Quant aux évêques français, ils refusent dorénavant de discuter des dérives d’Ephraïm et des scandales sexuels. Car l’important, à leurs yeux, « est de ressouder une communauté capable de rassembler des croyants et d’attirer des vocations ». Quant aux irréductibles, Gisèle, Alain, Muriel et le Père Jean-Baptiste qui ont refusé d’étouffer le scandale pédophile, l’évêque Le Gall leur demande de se séparer et de quitter l’abbaye. « Chacun d’entre vous doit trouver une solution de son côté » écrit-il.

Source : Les Inrockuptibles, Emmanuel Lalande & Sophie Bonnet, 11.05.2011

 

QUAND LES INROCKS CROQUENT « LES BEATITUDES »

Le bimensuel « Golias » revient sur l’article paru dans « Les Inrockuptibles » et y apporte ses commentaires, relevant que l’Eglise « a mis longtemps à réagir » mais qu’elle a fini par confier à l’archevêque de Toulouse, Mgr Le Gall, «le soin de mettre de l’ordre aux Béatitudes».

Mais, demande Golias, que peuvent espérer les victimes des Béatitudes d’un évêque qui ose répondre à la journaliste Sophie Bonnet : «je n’ai rien remarqué qui pose problème» ?

Pourtant, fin 2008 ou début 2009, cet evêque, interrogé sur les ondes de Radio Présence, reconnaissait du bout des lèvres « quelques difficultés… d’autres problèmes… avec des mises en examen même et y compris pour les fondateurs ».

Golias rappelle également que dès 1976, le Père Caffarel se livrait « à un constat lucide et sans appel » du Renouveau charismatique, mouvance dont est issue la Communauté des Béatitudes.

Dans un ouvrage « Le Renouveau charismatique interpellé »[1], le Père Caffarel et J.R. Bouchet y abordaient déjà la question des dérives.

Source : Golias, 19.05.2011

[1] Editions du Feu Nouveau