Selon le modèle préconisé par l’Oncle Sam, certains pays optent pour une liberté d’expression et une tolérance sans limites. Dans cet environnement accueillant, les sectes ont toute latitude pour prospérer sans entraves. C’est l’un des thèmes développés par Anne Fournier et Catherine Picard qui, dans leur ouvrage foisonnant d’informations brûlantes – et souvent alarmantes-, présentent les groupes sectaires à travers le monde en abordant la question de manière originale : comment les sectes profitent-elles des nouvelles règles économiques, politiques et culturelles, mises en place par la mondialisation et quelle est l’histoire qui se joue derrière l’impérialisme confessionnel des Etats-Unis ?
Les auteurs développent la thèse que le sectarisme est avant tout une expérimentation in vivo de méthodes et de techniques économiques, avec pour conséquence, la reconnaissance des sectes comme » partenaires « . Ces dernières ont su, en effet, développer un patrimoine impressionnant qui ne laisse pas insensible le monde de la finance et certaines entretiennent même une relation de clientèle avec des banques connues pour blanchir l’argent de la drogue. De plus, la sphère économique ne cache pas son intérêt pour le savoir-faire sectaire en matière d’exploitation consentie des individus. En effet, pourquoi, malgré la maltraitance, les abus sexuels ou financiers, l’exploitation, la peur, les adeptes restent-ils ? Les nouvelles formes de management des entreprises rejoignent les techniques sectaires par des pratiques comme le harcèlement, le contrôle permanent, l’exigence de disponibilité et l’esprit d’entreprise poussé jusqu’à la caricature. Toute revendication y apparaît dépassée et hors norme ! Les Etats démocratiques ne manquent pas de s’inquiéter de voir ainsi se construire une sorte de société parallèle contre laquelle les velléités de résistance s’avèrent difficiles. D’autant plus que les sectes peuvent faire le choix d’aller s’implanter ailleurs ! Et dans certains pays, peu ou pas réglementés, elles sont les bienvenues.
Les auteurs s’interrogent aussi sur les liens entre certains objectifs sectaires et les volontés de la politique américaine. Dans cette guerre d’un genre nouveau, la guerre économique, l’Etat est-il appelé à dépérir ou pire à disparaître ? L’Etat-nation considéré comme obsolète, freine les possibilités d’un essor économique continu et certains chefs d’entreprises forment les vœux d’une » normalisation » mondialiste. A leur manière, les sectes contribuent à cette remise en cause de l’Etat et de l’Europe avec la disparition programmée du service public d’éducation, la remise en cause de tout contrôle -notamment des associations- et de l’arbitrage individuel remplacé par un arbitrage entre groupes et communautés. Dans un contexte d’insécurité à tous les niveaux et de contraintes économiques, les sectes s’étendent partout. Dans les pays du sud, elles pallient astucieusement à tout ce qui n’existe pas localement. Sous forme d’ONG, elles instaurent leur contrôle en échange de biens alimentaires, exploitant à la fois les jeunes Occidentaux en quête d’idéal et les pays les plus pauvres. Sous la forme de groupes de guérison, elles exportent leurs harmonisations, leurs impositions des mains et autres » fariboles » dans des pays où le système de soins est inexistant. Elles participent à l’économie informelle en implantant groupes de prière ou aide sociale, et en renvoyant essentiellement vers les Etats-Unis les bénéfices -petits mais nombreux- récoltés.
Toute forme de lutte contre les sectes est pour les Américains un obstacle à la liberté commerciale et dans ce cadre, tout est devenu marchandise : la culture depuis 1994, les croyances aujourd’hui… quand il ne s’agit pas du corps des adeptes avec le clonage. L’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) se retrouverait si besoin était, propulsée au rôle d’arbitre : c’est devant cette organisation que le président de la commission d’enquête américaine sur les » droits religieux de l’homme » menaçait (en privé !) de traîner les pays européens pratiquant une quelconque » discrimination religieuse à l’égard de religions minoritaire !… « . La démocratie reste indissociable de la Raison et du progrès industriel. Si l’une décline et si l’autre ralentit, la voie est ouverte à de nouveaux totalitarismes et de nouvelles barbaries. Les sectes en seraient le mouvement avant-coureur. Porteuses d’une projet anti-démocratique et anti-social, elles se substituent à un projet collectif que la société ne propose plus et remettent en cause le projet libérateur d’une humanité en progrès, appuyées en cela par certains courants fondamentalistes des Etats-Unis qui, sous prétexte de liberté, les protègent et banalisent par contrecoup les méthodes sectaires.