Inka Winter, survivante d’une secte sexuelle

Aujourd’hui réalisatrice, Inka Winter confie son parcours traumatisant au sein de la secte AAO (Organisation d’Analyse Actionnelle), fondée en 1972 par Otto Muehl, un artiste autrichien provocateur. Condamné pour sévices sexuels en 1991, le gourou est décédé en 2013.

Abandonnée par son père, Inka a vécu huit ans au sein de cette communauté où « l’amour libre » était érigé en principe. Elle avait quatre ans quand sa mère l’a déposée dans ce groupe où « les enfants étaient systématiquement séparés de leurs parents biologiques, soumis à des rituels de contrôle quotidiens et exposés à une sexualité omniprésente sous le regard autoritaire de Muehl, un ancien soldat nazi » résume-t-elle avec douleur. Après une longue thérapie, Inka a transformé ce traumatisme en mission. Installée à Los Angeles, elle réalise aujourd’hui du contenu pornographique « éthique et féministe » précise-t-elle, « afin de promouvoir une sexualité respectueuse, basée sur le consentement ». Mais pour elle, il est toujours difficile d’évoquer ce passé.
Inka ne s’en rendait pas compte à l’époque. Pour cette petite fille née en Allemagne, la vie dans cette organisation, couramment appelée communauté Friedrichshof, était au départ semblable à la vie qu’elle imaginait dans une ferme. Mais elle est devenue déroutante, voire effrayante. « Nous étions placées dans des unités familiales, avec un certain nombre d’enfants et une poignée d’adultes qui s’occupaient de nous », raconte-t-elle. « Sur le plan émotionnel, j’étais seule. Parce que même s’il y avait beaucoup de monde, il n’y avait jamais une seule personne vers qui se tourner quand on ne se sentait pas bien ».


Des parents de substitution
Muehl croyait que la monogamie et les cellules familiales nucléaires étouffaient le développement humain et il a séparé les enfants de leur mère et de leur père. Les enfants avaient donc un parent de substitution qui changeait périodiquement de sorte que les liens affectifs ne pouvaient pas se former.
Quand Inka a sympathisé avec un autre petit garçon, ils ont été punis. « On nous a accusés d’avoir une relation, alors que nous n’avions que cinq ans », se souvient-elle. Et quand elle se rapprochait trop de l’une de ses mères de substitution, elle était placée dans un autre groupe. Au cours de ses huit années dans la communauté, Inka a ainsi eu au moins cinq mères et pères de substitution.
« Quiconque n’était pas d’accord avec les règles était ridiculisé ou humilié » relate-t-elle. « Otto Muehl était au mieux un personnage autoritaire, dédaigneux et condescendant, au pire cruel et abusif ».
Ce chef autoproclamé croyait que les problèmes de la société étaient causés par une sexualité réprimée. Il interdisait l’homosexualité et les relations affectives ou amoureuses. Des adolescentes étaient forcées d’avoir des relations sexuelles avec lui. Et les enfants étaient exposés aux ébats de leurs mères de substitution. La nudité était « normale » et Inka se souvient qu’on lui demandait de toucher des adultes nus.
Après l’école, il y avait un rituel quotidien au cours duquel les comportements des jeunes étaient contrôlés par Otto Muehl et des supérieurs hiérarchiques. « Chacun portait un numéro, Otto était le numéro un et sa femme le numéro deux… On discutait de nos actions. Si ce que vous faisiez était considéré comme mauvais, vous étiez rétrogradé dans la hiérarchie » explique Inka qui essayait « de tout faire correctement pour ne pas être mise de côté ». Avec du recul, elle dit avoir « subi un lavage de cerveau ».


La secte disloquée en 1991
Dans ses souvenirs, « l’ambiance est devenue de plus en plus dépravée et les victimes de Muehl de plus en plus jeunes ». En 1991, il a été reconnu coupable d’abus sexuels sur mineurs et condamné à sept ans de prison. La communauté s’est alors disloquée. La mère d’Inka est venue la chercher et l’a emmenée dans un pensionnat à Berlin. La jeune femme a déménagé aux États-Unis en 2006 et vit depuis à Los Angeles. Otto Muehl est, lui, décédé en 2013. « J’ai ressenti un grand soulagement… Je ne m’attendais pas à avoir cette réaction, j’ai réalisé à quel point j’étais en colère » confie-t-elle. Il a fallu des années à Inka pour comprendre ses « problèmes d’attachement », vaincre l’anxiété et laisser aller sa libido sans se dire « c’est dégoûtant ». Si elle veut se tourner vers l’avenir, elle n’en oublie pas moins ce passé au sein de l’AAO. Avec d’autres anciens membres, elle demande réparation. Surtout que les œuvres de Muehl ont été récemment vendues pour des millions de dollars.


(Source : Metro, 28.11.2024)

  • Auteur : Unadfi