Les adeptes de sectes meurtrières sont-ils fous ?

L’adhésion à une secte violente doit-elle être considérée comme inhérente à un dysfonctionnement neurochimique ? Cette question est au centre d’une étude intitulée « Membres d’une secte meurtrière et plaidoyer de la folie : exploration de la frontière entre croyance et délire », publiée dans le Journal de l’Académie américaine de la psychiatrie et du droit.

Le Dr Brian Holoyda de l’Université de Californie a examiné huit cas de sectes meurtrières américaines, comme la Famille de Charles Manson en 1969. Il a constaté que, dans quatre cas, les accusés avaient plaidé non coupable pour cause d’aliénation mentale alors que le diagnostique de schizophrénie paranoïde n’avait été établi que pour deux d’entre eux et qu’un autre présentait un trouble psychotique mineur. Aucun n’a gagné. Holoyda en a conclu que les tribunaux américains considèrent les actes induits par les croyances, même lorsqu’elles conduisent à assassiner des gens, comme volontaires. Des personnes pourraient pourtant témoigner que les adeptes sont à ce point brisés par ce type de secte qu’ils ont agi pour se protéger, pour sauver leur vie.
Michael Ryan était le chef d’une secte basée sur la ferme Stice à Rulo, Nebraska. Il prétendait canaliser l’esprit d’un archange et formulait des allégations au sujet de la bataille imminente de l’apocalypse. Lors de ses perquisitions, la police a trouvé les preuves d’une préparation à une telle bataille : munitions, fusils, mitrailleuses… Les directives « divines » de la secte se traduisaient à travers un test mis au point par Michael Ryan. Chaque détail des activités du groupe était déterminé par ce test. Plusieurs membres du groupe tombés en disgrâce pour l’avoir « raté », ont été torturés par Michael Ryan. Ce dernier a demandé à un père de battre son fils, d’utiliser sa bouche en guise de cendrier. Le fils est mort d’un coup à la tête asséné par le leader. Un autre adepte a été obligé d’avoir des relations sexuelles avec une chèvre après avoir été roué de coups. Lui aussi est décédé des blessures que lui avait infligées Michael Ryan. La tâche de ses avocats fut rude : il a fallu expliquer que leur client avait commis les plus horribles tortures au nom d’une « divinité en colère », qu’il croyait qu’il possédait l’esprit d’un archange, qu’il pouvait prédire l’avenir, que le nourrisson d’une adepte du groupe était le fruit d’une conception divine….
L’un de ses avocats dira par la suite que « pour commettre des actes d’une telle cruauté, il fallait évidemment être fou ou être incroyablement inhumain. » L’expert de la défense a diagnostiqué chez Ryan une schizophrénie paranoïde qui l’aurait poussé à obéir à Dieu. Les experts de l’accusation ont constaté que Michael Ryan connaissait et comprenait la nature et les conséquences probables de ses actes. Le jury l’a condamné à mort.

Le Dr. Michael First est un psychiatre légiste à l’Université Columbia et l’un des auteurs de la quatrième édition du Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux1. Il s’est souvent exprimé sur la violence motivée par la croyance. Il n’est pas surpris des résultats d’Holoyda.
Le travail de la défense va consister à prouver comment le trouble psychiatrique a interféré dans la capacité de l’adepte à distinguer le bien du mal au moment des faits. Mais sur ce point, les experts en santé mentale atteignent très rarement un consensus. Le fait est que la grande majorité des cas de violence ne sont pas le résultat d’une maladie mentale. Pourtant, il est difficile d’abandonner l’idée que certains crimes sont si inexplicablement et terriblement hors normes qu’aucune personne saine d’esprit ne serait en mesure de les commettre.
Quoi qu’en disent les tribunaux, ces cas existent pour une raison : toutes les croyances ne sont pas de simples variantes du comportement humain. Il y a des délires irrationnels difficilement définissables. Comment peut-on vérifier un ordre donné par Dieu ? Si la plupart des croyances religieuses sont considérées comme « acceptables », comment distinguer celles qui ne le sont pas ?

Dans le DMS V, publié en 2013, l’influence de la secte a été répertoriée comme une cause potentielle de perturbation de l’identité en raison de son aspect coercitif. D’autres raisons sont invoquées telles que le lavage de cerveau, la réforme de la pensée, l’endoctrinement…
Holoyda conclut que l’appartenance à un mouvement sectaire serait dans une affaire criminelle une circonstance atténuante plutôt que la preuve d’une véritable psychose.

(Source : psmag.com, 09.03.2016)

1- Le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (également désigné par le sigle DSM, abréviation de l’anglais : Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders) est un ouvrage de référence publié par la Société américaine de psychiatrie (APA) décrivant et classifiant les troubles mentaux.