Ils ne m’ont pas sauvé la vie

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Evelyne M. est morte en 1997, à 32 ans, d’un cancer non soigné, prise dans les filets de médecins adeptes d’une organisation à l’idéologie mortifère, le Mouvement du Graal. Il fallait, en effet, qu’Evelyne meure, abandonnant son mari et ses deux filles pour « une vie meilleure dans une autre vie » ! Cobaye entre leurs mains, Evelyne a cru « à l’incroyable » mais surtout, à leur illusoire promesse de guérison. Alors qu’elle est sur le point de mourir, elle lance un S.O.S. à un journaliste de télévision, Antoine Guélaud, qu’elle connaît déjà. C’est lui qui reprendra le flambeau et fera le récit de son parcours tragique pour que d’autres Evelyne ne tombent pas dans le même piège qu’elle, tendu par des gens apparemment « au-dessus de tout soupçon », « plutôt joviaux » et « agréables »… Pour son « livre-enquête » auquel il a consacré deux ans, Antoine Guélaud a choisi de se glisser dans la peau d’Evelyne, plusieurs années après sa mort. Il écrit que son histoire invraisemblable « est devenue au fil des épisodes un scénario digne d’Hollywood ».

L’auteur a le grand mérite de mieux faire connaître Evelyne au grand public, cette « jeune femme décédée » dont on lançait le nom lors des interminables procès démarrés en 1996 et terminés en 2009, jugeant, entre autres, les Dr Guéniot et Saint-Omer. Sa personnalité demeurait alors insaisissable et on comprenait difficilement comment elle avait pu se laisser entraîner dans un tel guêpier. Antoine Guélaud entreprend d’expliquer comment elle est tombée entre les mains de « médecins hypocrites et manipulateurs » et qui plus est, « porteurs d’une « extravagante certitude mystique et irrationnelle » : la réincarnation dans un « corps astral ». Pour tenter de débrouiller les fils de cette mystification, l’auteur a réalisé des dizaines d’heures d’entretiens, rencontrant tous les protagonistes de l’affaire en France, en Espagne et en Belgique… Tous lui ont confié « leur part de vérité », tous, à l’exception des médecins mis en cause par la justice. Antoine Guélaud les avait cependant interviewés auparavant pour le magazine « Le Droit de Savoir ».

En 1994, Evelyne voit tout son univers s’écrouler lorsqu’un médecin lui annonce sans ménagements un cancer du sein. Très vite, un second médecin en rajoute, lui affirmant que ses probabilités de survie sont « incertaines ». Ces chocs successifs vont être déterminants pour la suite des évènements. Et malheureusement pour elle, la rencontre avec un couple, peu après, va être encore plus déterminant. La femme, Caroline, lui vante deux médecins « réputés » de Lille, connus pour soigner des cancers avec des méthodes naturelles. Caroline, si compatissante et si attentionnée, avancera ensuite des pions qui se révèleront fort néfastes pour Evelyne. Cette dernière se retrouve donc à Tourcoing, dans le cabinet d’un homéopathe, le Dr Saint-Omer. Alors que sa tumeur au sein a déjà atteint un seuil critique, il préconise un régime végétarien, des oligo-éléments et des injections de gui ! Il interroge également Evelyne sur l’existence d’un choc émotionnel ou moral qui aurait déclenché sa maladie. Il l’encourage à lire certains ouvrages et lui parle d’un autrichien, Abd-ru-shin, fondateur du Mouvement du Graal, auteur d’un « code de vie » basé sur la réincarnation. Il la dissuade plus que jamais de recourir à la chimiothérapie qui fait « des trous dans le corps astral » et qui provoque des handicaps lors des réincarnations !

Après une intervention musclée de la mère d’Evelyne qui exige qu’il envoie sa fille chez un cancérologue, le Dr Saint-Omer prend peur et finit par recommander une séance de chimiothérapie. Mais la jeune femme est incapable d’entendre les paroles sensées de qui que ce soit. Elle se résigne pourtant à une séance et malgré des résultats très probants, refuse d’en effectuer une seconde. Elle ne voit plus « que » par les traitements « de terrain » et reste obsédée par l’élimination de ses « toxines ».

Pour couronner le tout, la jeune femme qui aura vu une fois le Dr Guéniot dans son cabinet, s’inscrit à l’un de ses séminaires en Belgique, séminaire qui renforcera sa croyance dans les diktats qui sont énoncés puis elle persiste à suivre les conseils du Dr Saint-Omer et décide d’entreprendre un jeûne. L’obsession d’éliminer et de se purifier reste omniprésente ! Malgré la désapprobation de son mari, Evelyne s’en tient à son projet et se lance dans un jeûne de quatre semaines chez les parents de Caroline qui… tiennent une boutique de produits diététiques à Tourcoing. Evelyne est assaillie par des douleurs qui ne lui laissent aucun répit. Elle ne le sait pas encore mais elle est devenue « la femme idéale » aux yeux des adeptes du Mouvement du Graal qu’elle côtoie car n’est-elle pas destinée à se réincarner dans une autre vie ?
Puis son état empire et elle tombe dans un état de semi-conscience. A tel point qu’elle est mise en contact avec un certain Dr Roger B., vétérinaire à Neuilly, censé avoir mis au point un médicament permettant une réversion tumorale du cancer de la mamelle de la chienne ! Et ce produit sera injecté à… Evelyne !! Au bout de trois semaines, très affaiblie après 26 jours de jeûne et quatorze kilos perdus, elle ose écarter les barreaux imaginaires de la maison où elle se terre et sort. Passant devant un kiosque, son regard tombe sur le journal « La Voix du Nord » qui publie un article sur les sectes. En le lisant, c’est le déclic : elle réalise qu’elle a été manipulée.

Evelyne se décide à porter plainte le 24 mai 1996. Trois jours plus tôt, elle a témoigné à la télévision. La saga judiciaire commence alors. L’instruction durera dix ans. Quatre juges se passeront le relais. Des pièces de justice, des scellés disparaîtront mystérieusement, notamment les dossiers médicaux de la jeune femme, ainsi que des cassettes audio de conférences du Dr Guéniot sur les médecines parallèles, auxquelles Evelyne avait assisté. Treize ans après la plainte de la jeune femme, Gérard Guéniot est relaxé en appel, mais… après avoir été « blanchi » par la justice, il meurt le lundi 13 juillet 2009, à 63 ans, des suites d’un cancer.

Dans une interview, Antoine Guélaud explique qu’il a attendu le jugement du 17 février 2009 pour publier son ouvrage, précisant que ce dernier est un document bien réel, basé sur une histoire vraie mais avec des moments qui empruntent à la fiction.
Il rappelle qu’il avait été « menacé de mort » en plein prétoire, en février 2008, lors du procès en appel de Douai. Pendant la durée du procès, des policiers avaient dû l’escorter lors de ses allées et venues. Aux yeux des défenseurs « des médecins du graal », il était un peu « le diable personnifié », le journaliste qui avait mis l’affaire sur la place publique, déclenchant le réveil de l’Ordre des Médecins, de la police et de la Justice…
Il confie enfin qu’il a écrit « sûrement habité » par Evelyne, appréhendant toutes les facettes de la manipulation dont elle avait fait l’objet, soulignant que ce sont des gens « normaux » qui se font séduire par les sectes…

Source :Le Post, Eric Maillard, 13.10.2009

  • Auteur : Antoine Guélaud
  • Editeur : Editions du Toucan/ TF1 Entreprises, 2009
  • Date de publication : 25/03/2010