Vivre son enfance au sein d’une secte religieuse

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Lorraine Derocher est chercheuse au groupe de recherche Société, droit et religions et doctorante en Etudes du religieux contemporain au sein de la faculté de théologie, d’éthique et de philosophie de l’Université de Sherbrooke. Elle fait également partie de la Coalition canadienne pour les droits de l’enfant.

Pour des adultes nés au sein d’un groupe religieux et « ayant grandi dans un univers partiellement ou totalement coupé de la société », choisir de quitter cet environnement pour vivre en société est un véritable défi. Les raisons motivant leur décision de quitter la secte sont différentes de celles des adeptes entrés dans un groupe à l’âge adulte. Ce livre a pour objectif, entre autres, de fournir aux intervenants (psychologues, avocats, médecins, enseignants ou travailleurs sociaux) des outils de compréhension du processus d’intégration sociale de ces personnes qui ont souvent besoin d’aide tant sur les plans psychologique, pécuniaire, juridique, scolaire que médical.

Dans la première partie de l’ouvrage, consacrée au cadre théorique de sa recherche, l’auteur expose les « définitions classiques et contemporaines de la Secte » et les « concepts sociologiques de socialisation, anomie et intégration sociale ». Une secte « constitue une microsociété sur les bases d’un contre modèle de la société globale. Dans cet univers particulier se transmettent chez l’enfant des valeurs, des normes et des règles propres à cette institution idéologique située en marge de la société. L’apprentissage à la fois d’un rôle social et des compétences propres à cette microsociété socialise l’enfant en fonction d’une vie future conçue pour être vécue au sein même de cet environnement, l’option d’une vie hors du groupe n’existant bien souvent qu’au risque d’être banni de la communauté. »

Sortir d’un tel groupe et vouloir s’intégrer dans la société va demander une véritable « resocialisation », avec des problèmes particuliers d’insertion sociale, effets à long terme de la socialisation première dans un monde marginal. En particulier, l’enfant ou l’adolescent élevé dans une secte religieuse aura, certainement plus que l’adulte qui aurait préalablement vécu en dehors de la secte, à faire face à une perte de repères dans l’environnement social (anomie).

La deuxième partie est consacrée à l’étude elle-même et à l’analyse des résultats. L’objectif est de mieux comprendre comment se passe la sortie d’un groupe sectaire religieux, quels sont les problèmes que peut rencontrer un adulte ayant grandi dans cet univers lorsqu’il décide d’en sortir et d’intégrer la société. L’hypothèse de sa recherche est qu’il existe une « discontinuité » entre le groupe sectaire et la société dominante, discontinuité qui fragilise l’intégration sociale de ceux qui ont été élevés dans un milieu religieux fermé. Des résultats de l’enquête menée à travers des entretiens individuels non-directifs et des réunions avec deux groupes d’anciens adeptes, il ressort qu’un des traits de personnalité dominants de ce sortant de secte est sa vision du monde marquée par :

-* Une conception manichéiste de la réalité,
-* une construction de l’identité survalorisant un rôle spirituel et utopique au détriment des autres facettes de l’identité,
-* un univers social marginal dans lequel tout est légitimé par le religieux.

L’intégration en société demanderait alors, semble-t-il de passer par une « déconstruction » de cette conception du monde puis par une reconstruction. L’analyse des entretiens a permis à Lorraine Derocher de repérer quatre stades importants de ce processus qui permettent la « resocialisation » :

-* Le départ : l’adepte prend la décision de partir et concrétise son départ.
-* La continuité : il ne vit plus dans la secte mais vit encore selon les normes de la secte et le rôle pour lequel il a été formé.
-* Le choc des réalités : il prend conscience que sa vision du monde ne lui donne pas les clés pour fonctionner dans la société et accepte de vivre une déconstruction, au moins partielle, de sa vision passée (étape qui risque d’être marquée par une période de perte de repère).
-* La « resocialisation» : la vision du monde « déconstruite » peut être remplacée par la création de nouveaux liens, l’accès à l’éducation, la confrontation à la réalité quotidienne.

Lorraine Derocher développe son analyse en montrant l’impact des trois paramètres de la socialisation sectaire (cités plus haut) sur les étapes du processus de resocialisation ; elle illustre ses propos de nombreux extraits des entretiens avec les anciens adeptes, ce qui rend cette étude très vivante et riche d’enseignement pour la compréhension de ces adultes confrontés au défi de l’intégration dans la société.

Dans la conclusion, l’auteur reprend les différents facteurs intervenant dans la décision de quitter la secte et résume les principaux problèmes rencontrés lors des quatre étapes du processus d’intégration, mettant en évidence ce qui peut le rendre plus difficile. En particulier, elle constate que « la méconnaissance du phénomène sectaire par les intervenants aggrave le niveau de difficulté lié à l’intégration».

Note de lecture (Bulles n°111, juin 2011)

  • Auteur : Lorraine Derocher
  • Editeur : Presses de l'Université du Québec, Avril 2008.
  • Date de publication : 06/07/2007