L’empire des coachs

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Dans un ouvrage qui a tout d’un réquisitoire, le psychanalyste Roland Gori et le philosophe Pierre Le Coz démontrent que, dans le coaching, la rhétorique du sport croise non seulement celle de l’entreprise mais aussi celle de la santé. Armés d’une plume trempée dans l’acide, les auteurs vont entreprendre de mettre en exergue les dangers du coaching pour… finalement préconiser de l’interdire « au nom de la santé publique » !
Développé dans une situation de crise, de précarité et de fragilité sociale, le coaching leur apparaît en effet « comme un système de contention sociale, de domestication sécuritaire, autant que comme un mirage psychologique qui s’est peu à peu étendu « avec une ambition passablement totalitaire ». Les auteurs remarquent judicieusement que le coach, lui, tire bien son épingle du jeu dans le monde de l’entreprise « où les hommes perdent leur vie à la gagner ». Le coaching est là, providentiel et rassurant, offrant « un airbag psychologique » aux managers fragilisés ou qui doutent d’eux-mêmes. Grâce à des « recettes » psychologiques, il aide à retrouver équilibre et assurance.
Plus gravement, les auteurs s’interrogent sur le fait de savoir comment nombre de nos contemporains en sont venus à s’en remettre à un coach pour aborder (ou affronter) les questions existentielles. Car l’idéologie du coaching repose sur l’idée qu’il n’est guère recommandé de séparer sphère personnelle et professionnelle et, en conséquence, il inscrit la quête du développement personnel au cœur même de la sphère du travail. Aucun domaine de l’existence ne semble d’ailleurs devoir échapper à cette déferlante. Le coaching investit donc le domaine de la santé qui devient un produit comme un autre où les soignants se doivent d’adopter une « coaching attitude » ! L’activité hospitalière se fond ainsi dans l’univers des sociétés de services. Les auteurs critiquent ce mélange des genres et ils se demandent comment le coaching peut être, là encore, la réponse à l ‘expérience existentielle de la maladie ?
Les auteurs prônent donc la nécessité d’une cure de « désintoxication idéologique », rejetant « cette soupe sportive remixée à la sauce managériale ». Car le coaching fait l’impasse sur les facteurs de désordre psychique « tels le rythme ou l’organisation du travail, un salaire inadéquat… » et il se révèle comme « un puissant moyen de contrôle social au service de la soumission généralisée des masses » offrant le minimum vital de compassion « en dessous duquel le système marchand ne pourrait plus fonctionner » ! Les auteurs vont encore plus loin lorsqu’ils attribuent aux coachs un rôle de surveillance thérapeutique et normalisatrice dans un monde « déserté par les valeurs humaines de l’entraide et de la justice » où seul le travail permettrait de « s’accomplir ».

Les deux auteurs sont perplexes. Pourquoi ces nouveaux « directeurs de conscience » se sont-ils ainsi imposés, conduisant à une sorte de psychiatrisation du quotidien ? Les autres relais faisaient-ils défaut ? En attendant, remplis de compassion pour leurs semblables, les managers de l’âme sont une main tendue pour celui qui a mis genou à terre et qu’ils sont prêts à relever contre des espèces sonnantes et trébuchantes… car les tarifs sont à la mesure de leurs ambitions : très élevés.

  • Auteur : Roland Gori et Pierre Le Coz
  • Editeur : Editions Albin Michel, 2006
  • Date de publication : 11/01/2007