Ecrit en 1989, réédité puis traduit en français en 2004, voilà un ouvrage qui mérite d’être lu tant il est encore actuel. Dans l’avant-propos de l’édition française, Douglas Kennedy confie qu’il est le fruit de l’intérêt et même de « l’inquiétude » que la montée de la religiosité aux Etats-Unis inspirait à l’auteur… il y a quinze ans. Aujourd’hui, il ne peut que constater que la culture « néochrétienne » qu’il avait découverte, plutôt estomaqué, en 1988 dans le sud dit « biblique » des Etats-Unis, s’est considérablement étendue et amplifiée. Avec humour, l’auteur recommande de lire son ouvrage « comme un roman qui relate l’épopée d’un écrivain expatrié dans les confins les moins explorés d’une région à la religion exacerbée ».
« Au Pays de Dieu » est avant tour un récit basé sur des rencontres, à la manière d’un récit de voyage qui démarre à Manhattan, avant l’exploration des contrées sudistes. Première renconte : Sheila, la femme d’affaires new-yorkaise élégante qui se met à parler « en langues » dès qu’elle se sent envahie par une crise d’angoisse et qui livre une bataille féroce à Satan. Douglas Kennedy est abasourdi de constater à quel point elle a décrété que c’était Jésus qui dirigeait sa vie et comment elle a décidé en quelque sorte de n’avancer que sur « pilotage automatique ». Sheila personnifie l’expérience de re-naissance en la foi chrétienne. Toute une galerie de portraits, « sudistes » cette fois, illustrent cet engagement profond : parmi eux, un ancien « petit malfrat » rangé des voitures après avoir entendu la voix de Dieu et devenu à moins de trente ans, une « étoile montante » du télévangélisme, un mafieux nettement plus « expérimenté » qui, après onze années derrière les barreaux se sent catapulté « berger des âmes « , un quatuor de musiciens de heavy metal évangélique rendant hommage « à l’amour inconditionnel prodigué par Dieu » et qui terminent leur concert en jetant des bibles dans le public… L’auteur écrit que la « re-naissance chrétienne » figure parmi les options les plus accessibles à ceux qui ressentent le besoin de changer mentalement « de peau ».
Du côté des pasteurs, les rencontres sont diversifiées. Certains resteront « d’extraordinaires colporteurs de pacotille spirituelle » tandis que d’autres ne sont pas ce qu’ils paraissent être. Ainsi en est-il d’un Jimmy Bakker emprisonné pour avoir pillé les portefeuilles de ses fidèles ou du révérend Swaggert, un « père la morale » finalement peu fréquentable. Malgré tout la plupart de leurs ouailles leur conservent un amour inconditionnel, même après leurs incartades ou leurs écarts de conduite avérés. Quant aux croisés du petit écran oeuvrant sur les multiples chaînes privées, ils offrent une paix intérieure garantie, tout en encaissant au passage les sommes colossales récoltées, vendant ainsi une « sécurité spirituelle » et transformant le « télévangélisme » en une industrie des plus prospères. Parfois pourtant, Douglas Kennedy rencontre des « antithèses » du charlatan néochrétien : des prédicateurs plein de retenue et financièrement irréprochables ou bien encore des pasteurs exceptionnels qui placent le principe au centre de leur action et qui traduisent leurs convictions en « philosophie sociale ».