Editorial

L’emprise, qui vise à obtenir d’un individu, par diverses techniques, un engagement durable et extensif suppose que soit limitée ou même exclue toute critique ou influence divergente. Les dérives sectaires s’accompagnent donc, le plus souvent, de stratégies éprouvées pour isoler les victimes de leur environnement familial et social : activités multiples, obligatoires ou fortement encouragées, déplacements fréquents ou envoi dans un pays lointain, déménagement avec adresse tenue secrète, allusions négatives ou accusations graves envers des personnes de l’entourage proche, etc.

Lorsque l’emprise s’exerce au sein d’un groupe, cette coupure avec l’extérieur se double d’un contrôle des relations entre les membres ; le gourou s’immisce dans les relations amicales, intervient pour faire ou défaire des couples, se substitue aux parents auprès de leurs enfants.
Les liens, fondés sur le partage de croyances et de pratiques imposées, ne sont bien souvent qu’apparence, les membres apprennent à se méfier les uns des autres.

Sur l’individu ainsi subtilement isolé, le gourou (ou les dirigeants) fait pression pour contrecarrer tout désir d’autonomie. L’emprise ne supporte en effet aucun désaccord ou comportement non conforme, la sanction est alors l’exclusion… La responsabilité en incombe tout entière à l’exclu. Il est accusé de trahison, d’actions ou d’intentions perverses, sa réputation est détruite, et les adeptes restés dans le groupe doivent l’éviter.

Quelles que soient les motivations de ce bannissement — inciter la personne à faire totale allégeance pour espérer retrouver les siens, garder « pure » la communauté en la préservant de toute « contamination », terroriser les membres restants — cette pratique est une atteinte à la liberté de conscience[1]. Cette atteinte doit être dénoncée et devrait être sanctionnée… s’il n’était pas si difficile et incertain pour les victimes de porter plainte.

Une fois encore, il faut insister sur la nécessité de développer la connaissance et la compréhension du phénomène d’emprise notamment auprès des acteurs de la Justice.

[1] Déclaration universelle des Droits de l’Homme, Article 18 : « Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction […] »

Editorial

On pense encore trop souvent que celui qui devient membre d’une organisation sectaire coercitive, ou qui est sous l’emprise totale d’un manipulateur, s’est fait « piéger » parce qu’il n’avait pas un bagage culturel suffisant. La réalité est plus complexe car, dans une telle situation, l’affectif, les aspirations personnelles, une éventuelle vulnérabilité, tiennent autant de place, voire plus, que la réflexion et la raison.

Bien souvent, les personnes qui, inquiètes pour un proche, viennent voir nos associations, découvrent seulement alors les stratégies de mise sous influence, les techniques de contrôle de la pensée et du comportement et le fonctionnement de telles organisations. Elles apprennent, aussi, des réalités sur les individus, les doctrines, l’histoire du mouvement, dont il n’est jamais fait état lors des premières rencontres, et qui sont soigneusement cachées car elles nuiraient incontestablement à leur image. Les témoignages d’anciens membres leur révèlent souvent des règles internes attentatoires au respect et à la dignité des individus.

Autant il serait absurde de se méfier de tout et de tous au prétexte que l’on peut « se faire avoir », autant il faut être conscient que les mécanismes de l’emprise peuvent conduire des personnes, des familles, des groupes, à des situations graves, et qu’il est nécessaire d’être vigilant.

Les associations informent et aident à comprendre. Elles s’efforcent aussi d’alerter le public à travers des séances de prévention, des publications et des sites Internet.

Dans plusieurs pays, les pouvoirs publics ont pris conscience des risques et mis en place des structures de vigilance et d’information. En France, les guides élaborés par la Miviludes, dont les deux derniers sont présentés dans ce numéro, offrent des outils efficaces à de nombreux professionnels. En Belgique aussi, les publications et avis du CIAOSN apportent au public des éléments précieux de discernement.

S’il fallait prouver l’importance de l’information dans la lutte contre l’emprise sectaire, il suffirait de constater les pressions exercées par certains mouvements, et ceux qui les soutiennent, sur ceux qui se montrent critiques à leur égard[1]…

[1] Voir par exemple

Editorial

C’est avec satisfaction que l’UNADFI a appris la nomination de Serge BLISKO au poste de président de la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires. Médecin de formation, c’est dans le cadre de ses mandats de député qu’il a été amené à travailler sur le phénomène sectaire. Il a été membre de 1997 à 2002 du groupe d’études parlementaire sur les sectes et son vice-président de 2007 à 2012 aux côtés de Philippe Vuilque. Serge Blisko a toujours répondu présent à nos assemblées générales montrant ainsi l’attention qu’il porte aux victimes et son soutien à notre action.

Dans ce numéro, nous avons souhaité aborder la place du langage dans les mécanismes de mise sous emprise et d’enfermement sectaire. Les mots, les expressions contribuent pour beaucoup à notre perception du monde ; parfois nous sommes conscients de l’influence d’un discours, mais le plus souvent nous adoptons expressions ou tournures de façon inconsciente. Dans la mesure où le langage influe sur notre vision du monde, son pouvoir est grand et les exemples ne manquent pas dans l’histoire de l’utilisation des mots à des fins de propagande ayant conduit à la mise sous emprise.

Et sortir de l’emprise sectaire est une longue et difficile étape. Le plus souvent, il s’agit d’un long cheminement fait de prises de conscience douloureuses, de doutes, de culpabilité et de peur. Pour les « sortants », il s’agit de retrouver un équilibre physique, émotionnel, mental, pour pouvoir reprendre le fil de la construction de leur propre identité. S’ils peuvent bénéficier d’un entourage attentif, rencontrer des interlocuteurs informés et compétents, ils pourront remettre en question la vision du monde à laquelle ils avaient peu à peu été amenés, retrouver une vie sociale ouverte sur le monde.

Editorial

Pour la fin du monde prends ta valise
Et va là-haut sur la montagne on t’attend
N’aie plus peur de rien tout ira très bien
Pour la fin du monde viens tout simplement
Viens donc il est temps. […]
chantait Gérard Palaprat en 1971…

Quarante ans plus tard, sa chanson est toujours d’actualité, la montagne a pour nom « le Pic de Bugarach », l’économie touristique de l’Aude en profite un peu, le thème est abondamment développé par des artistes, des écrivains, des chercheurs en divers disciplines, les médias s’en sont emparés… et Bulles n’échappe pas au phénomène !

Comme le soulignait Serge Blisko, président de la MIVILUDES, dans son intervention à la conférence de la FECRIS, l’annonce de 2012 a été précédée de beaucoup d’autres, les arguments anxiogènes ayant varié au cours des temps bien sûr. Pour nos associations, l’annonce de catastrophe imminente est un thème connu, inhérent à l’emprise sectaire. Induisant progressivement la rupture avec l’extérieur, la rhétorique « tu cours un véritable danger, avec nous seuls tu es protégé » se retrouve dans tous les récits d’anciens adeptes de mouvements sectaires. Que l’on pense aux dangers pour un Témoin de Jéhovah de fréquenter un « exclu », fut-il son conjoint ou son enfant, ou encore aux récits des « reclus de Monflanquin » sous l’emprise de Thierry Tilly qui les avait progressivement conduits à rompre avec parents et amis et à n’attendre leur salut que de lui.

On peut sourire des faux prophètes, et ne pas accorder de crédit à leurs prédictions mais il serait erroné de penser que personne ne les croira. Certains se sont contentés de s’enrichir en diffusant leurs prophéties à travers livres, CD, DVD, sites internet, etc. Mais d’autres sont devenus de vrais gourous et ont entraîné de vrais adeptes, ayant, comme l’explique Romy Sauvayre, « des raisons de croire ce qu’ils croient », même si ces croyances paraissent invraisemblables et peuvent conduire à des drames. Rappelons-nous des responsables de l’Ordre du Temple Solaire (OTS) dont les théories ont entraîné la mort de soixante quatorze personnes, dont trois enfants…

Bulles N°117 : éditorial

La Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH) a condamné la France pour violation de la liberté de pensée, de conscience et de religion, invoquant le non respect de l’article 9 de la Convention européenne des droits de l’homme. Les procédures fiscales intentées contre trois mouvements sectaires ont été invalidées, tout comme l’avaient été celles concernant l’association Témoins de Jéhovah, en 2011, par un arrêt qui fait office de jurisprudence en la matière.

Certes, la nature de ces décisions reste technique et fiscale, pour autant nous nous interrogeons sur les motivations de la Cour qui semble considérer que tous ces groupes seraient « religieux » quels que soient leur forme juridique, leurs statuts et leurs actions. Le premier arrêt porte pour titre « association cultuelle du Temple pyramide » et les redressements contestés portent sur la période 93-95. Or cette association, créée en 1991 et dissoute en 1995, était une association Loi 1901 et ne pouvait être qualifiée de cultuelle au sens de la Loi de 1905. Son statut ne lui permettait donc pas de bénéficier des exonérations prévues par l’article 795-10 du code général des impôts. La Cour ne semble pas avoir tenu compte des avis des différentes instances juridiques qui confirmeront le bien fondé de l’action des services fiscaux.

En 1995, le Conseil d’Etat a, de son côté, confirmé l’annulation du permis de construire du temple prévu pour la célébration du culte de l’aumisme .
Consciente de ce que les décisions conjointes des pouvoirs publics allaient nuire financièrement à leur activité, l’association se dissoudra, et reportera ses actifs sur une autre association, l’Association du Vajra triomphant… manière connue d’organiser son insolvabilité. Une conception du droit anglo saxonne et globalisante conduit la Cour a un raisonnement très éloigné de la conception française. En décidant du statut à octroyer à tel ou tel, elle fait fi du droit national. Elle favorise ainsi l’amalgame entre secte et religion, permettant aux mouvements sectaires de se considérer comme absouts de toute manœuvre frauduleuse, de l’exploitation de leurs adeptes et d’atteinte à leurs droits fondamentaux.

Au nom des familles et des personnes victimes de ces mouvements, nous demandons à l’Etat français la saisine de la Grande chambre pour un réexamen de ce dossier.

Catherine Picard, présidente de l’UNADFI

Sœurs contemplatives de Saint-Jean

Certains événements récents ont, de nouveau, attiré l’attention sur la « Famille Saint-Jean », déjà sous observation du Vatican depuis 2000 avec la monition, équivalant à un blâme, de Mgr Séguy accompagnée de la nomination d’assistants religieux pour les Frères de Saint-Jean.
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Editorial

Le 10 avril dernier, la commission sénatoriale rendait son rapport « Dérives thérapeutiques et dérives sectaires : la santé en danger », dont Bulles rend compte en deux parties, dans ce numéro et le suivant.

S’appuyant sur les auditions d’un large panel de personnes et une documentation fournie, ce travail très intéressant permet, entre autre, de se faire une idée de la multiplicité et de la variété des propositions de soin présentes aujourd’hui dans notre société. Parmi celles-ci figurent un grand nombre de « pratiques non conventionnelles » qui diffèrent fondamentalement de la médecine conventionnelle par leurs conceptions de la maladie. La commission a fait le constat que la mise en pratique de ces conceptions peut parfois se traduire par des mauvais traitements ; elle peut aussi être à l’origine de l’emprise du « thérapeute » sur son « client ».

Dans les mouvements sectaires, un certain nombre de croyances sous-tendent les diverses théories relatives à la santé. Une adhésion inconditionnelle à de tels mouvements, ou à un gourou, peut apporter aux adeptes convaincus des réponses à leurs questions existentielles et la certitude que les comportements ou actions exigés sont, à long terme, bénéfiques pour soi et pour l’humanité. Elle peut cependant aussi les conduire à « subir des mauvais traitements dégradant leur état physique et mental », ou à être privés de soin. Quels que soient les éventuels doutes de l’adepte sous emprise, la soumission exigée ne lui permet plus de faire un choix personnel libre et raisonné.

La liberté de croyance est une liberté fondamentale, dont on sait aussi qu’elle peut servir d’argument à des abus de pouvoir, comme en témoignent les récits et informations recueillis par nos associations. Les conséquences de ces abus peuvent être lourdes, parfois dramatiques, pour les personnes dont ils « compromettent les chances de guérison, voire de survie ». Peut-on parler de libre choix thérapeutique lorsque un adepte est soumis à des pressions, au chantage affectif, au contrôle de sa vie privée ?

Editorial

« Nous ne pouvons pas admettre que des organisations totalitaires, qui font injure aux libertés fondamentales, en appellent aux mêmes libertés pour obtenir que leurs pratiques anti-démocratiques et contraires aux droits de l’homme soient protégées.[…] Afin d’empêcher que les autorités administratives et les tribunaux des états individuels ne soient abusés par des organisations totalitaires, nous avons besoin d’avoir une société civile éclairée et vigilante, tant au niveau local que national et international. » (Annelise Oeschger, ancienne présidente de la conférence des OING du Conseil de l’Europe).

Dès leur création, nos associations ont eu pour préoccupation d’informer les pouvoirs publics sur le fonctionnement totalitaire des groupes sectaires ; les victimes elles-mêmes ont pris la parole pour dénoncer les atteintes aux droits fondamentaux des personnes dans ces groupes, allant jusqu’à intenter des actions en justice contre le gourou ou l’organisation. Ces procès, longs, difficiles et très éprouvants, ont mis au grand jour un fonctionnement bien éloigné de celui d’un état de droit…

Certains pays se préoccupent de la question sectaire, par la prévention et la législation, d’autres n’y voient que l’exercice d’une liberté de croyance inaliénable. L’écho, dans les médias internationaux, de la condamnation de la Watchtower Society de New-York, lors du procès intenté par Candace Conti, semble cependant indiquer une prise de conscience par la société civile de la responsabilité pénale des organisations.

Alors mineure, Candace a subi des sévices sexuels de la part d’un Témoin de Jéhovah, pédophile récidiviste, appartenant à la même congrégation qu’elle ; en 2011, elle porte plainte à la fois contre l’agresseur, la congrégation où s’étaient déroulés les faits, et la Watchtower Society.

Le jury de la Cour supérieure du comté d’Alameda (Californie) a condamné l’agresseur et reconnu coupables de négligence les anciens de la congrégation et la direction du mouvement, condamnant cette dernière à près de 24 millions de dollars (la Watchtower a fait appel de cette décision).

Candace explique qu’en portant plainte, et en refusant un éventuel arrangement financier, elle a deux objectifs : protéger les enfants et encourager les victimes d’abus sexuels, ayant subi la politique interne du mouvement, à se manifester.

Editorial

Personne ne choisit librement de perdre sa dignité, personne ne choisit volontairement de perdre sa liberté de penser… Mais il existe des « techniques propres à altérer le jugement » qui peuvent conduire un individu à l’assujettissement, à l’acceptation que toute sa vie soit régie par un tiers ou par une institution. Cette emprise mentale s’installe progressivement, chaque étape pouvant apparaître comme « librement consentie » : « C’est comme gravir un escalier dont les premières marches sont si peu élevées qu’on ne se rend pas compte qu’elles mènent à des marches de plus en plus hautes qui vous éloignent de plus en plus du sens commun », pour reprendre les propos de Gérald Bronner lors d’un récent colloque de la Miviludes.

Depuis qu’elles existent, nos associations suivent l’évolution du phénomène sectaire, tant dans l’organisation des « grandes sectes » en multinationales économiquement rentables et parfois politiquement reconnues, que dans le développement en réseau d’une myriade de petits groupes (parfois réduits à quelques dizaines de personnes). Quelle que soit leur taille, ces « États sectaires », comme les nomme Jean-Pierre Jougla, se caractérisent par un cumul des pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire entre les seules mains du gourou. En faisant perdre à l’adepte sa dimension de citoyen, ce modèle sectaire atteint directement le lien social fondé sur l’État de droit.

Ce modèle régressif est porteur de graves abus de pouvoir sur les individus, sanctionnés par la justice française lors de plusieurs procès de l’année 2013.

Et ce même colloque de la Miviludes, en présence du ministre de l’Intérieur, souligne que les pouvoirs publics français sont conscients du risque sectaire tant pour les individus que pour la société.

Depuis 30 ans, Bulles s’attache à informer sur l’actualité et l’évolution du phénomène sectaire. Les articles de ce numéro, le cent vingtième, soulignent encore l’importance de la prévention : la perception des risques et la connaissance des méthodes sectaires sont indispensables à l’exercice d’une vigilance efficace.