Anthropologue du fait religieux, spécialisée dans la gestion de la laïcité au sein des institutions et des entreprises, Dounia Bouzar[1] trace, dans son ouvrage, la frontière entre islam et radicalisme sectaire. Elle y dénonce les incessantes confusions qui génèrent une inquiétante stigmatisation, des amalgames qui, selon l’auteure, profitent toujours aux radicaux.
Pour écrire son ouvrage, Dounia Bouzar a recueilli des exemples d’endoctrinement sur des sites radicaux où, durant six mois, elle a virtuellement endossé le rôle de quatre personnages : deux hommes et deux femmes. De cette expérience, elle est ressortie abattue.
L’auteure a voulu donner des repères pour décrypter le discours des musulmans radicaux, son évolution et ses codes, la quête obsédante de pureté du groupe, l’invention du concept de guerre sainte, le mépris du féminin et sa déshumanisation…
D’autant que le radicalisme musulman « ne concerne que la minorité de la minorité ». Le phénomène concerne principalement des jeunes, « souvent fragilisés » et qui ont en commun de ne sentir appartenir à aucun territoire. A travers ses recherches, l’auteure n’est pas parvenue à comprendre comment ces jeunes pouvaient basculer aussi rapidement. Elle a cependant constaté que le « basculement intervient souvent dans des familles très claniques après un évènement déstabilisant tel qu’un divorce, un parent sans emploi ou un décès. »
Pour Dounia Bouzar, le discours radical propose à ces jeunes « une identité de substitution », la promesse de devenir des êtres « supérieurs » aux chrétiens, aux juifs ou aux musulmans et d’être seuls détenteurs de la vérité. Comme dans le discours sectaire, « on fait croire aux jeunes qu’ils sont élus et que « les autres » vont tenter de les raisonner parce qu’ils sont jaloux… » Ils construisent des frontières infranchissables entre eux et « les autres », matérialisées par le niqab pour les femmes ou la longue barbe pour les hommes. Le mimétisme remplace peu à peu le raisonnement. Ils perdent progressivement leur identité, certains allant jusqu’à brûler leurs photos.
Mais le discours de ces prédicateurs conduit à l’auto-exclusion. Leur programme, c’est la purification du monde ; en cela ils sont totalitaires. En promettant du « pur religieux », ils coupent les adeptes de la culture arabo-musulmane. On observe au sein de l’islam l’émergence de « nouveaux mouvements religieux ». Selon Dounia Bouzar, l’islam est devenu une religion utilisée par des terroristes.
Selon Dounia Bouzar, la loi française sur l’interdiction du port du voile intégral n’est pas stigmatisante. Ce qui l’est, c’est de considérer qu’une femme couverte d’un drap noir est une musulmane. Pour elle, les radicaux ont gagné la bataille du niqab puisque 95% des français croient que le port du voile intégral correspond à une application stricte du Coran. Or, le niqab existe depuis une soixantaine d’années seulement.
Mais la société, en général, doit réagir. Les élus et responsables de terrain ne doivent plus craindre d’être taxés d’islamophobes ou de nourrir le terreau du Front National en s’attaquant au problème. « Ce qui est islamophobe, c’est d’entretenir la confusion entre musulmans et radicaux ». C’est « l’inaction qui favorise la montée de l’extrême droite ». L’anthropologue estime que c’est aux musulmans de dénoncer les dérives sectaires. Il faut que les musulmans acceptent de les désigner pour que l’état puisse leur appliquer les lois sur l’emprise mentale.
Dounia Bouzar a souhaité écrire ce livre afin qu’on arrête de suspecter les musulmans pratiquants d’être des intégristes et de voir les radicaux comme de simples musulmans. « Nous devons priver les radicaux de leur justification religieuse en les considérant pour ce qu’ils sont : des endoctrinés ayant besoin d’aide psychosociale pour les uns, des meurtriers sanguinaires pour les autres. » En donnant à chacun les clés pour comprendre et analyser le discours islamophobe ainsi que celui des musulmans radicaux, Dounia Bouzar montre qu’il est possible de vivre ensemble sans discrimination, sans laxisme ni communautarisme.
Selon l’éditeur & 20minutes, 15.01.204 & Le Nouvel Observateur, 16.01.2014 & La Croix, 28.01.2014
[1] Nommée récemment à l’Observatoire de la laïcité, Dounia Bouzar est spécialisée dans les faits religieux. Elle a reçu de nombreux prix tel que celui de Chevalier de l’Ordre des palmes académiques en 2009.