Retour aux sources et à la réalité…

Habités par le rêve de s’épanouir en groupe, les membres de la communauté de Lentiourel (Aveyron) déchantent.


Jak, Elisa et Françoise, originaires du Var, voulaient avec d’autres personnes créer un écolieu. Quand, en 2011 Jak découvre la ferme, il est persuadé que c’est le lieu « où on pouvait construire le paradis sur terre ». Il décide de s’y poser afin de se consacrer à « la terre nourricière » avec sa compagne Elisa. Il a déjà vécu dans une dizaine de communautés. Après ses différentes expériences et plusieurs voyages, il sait que « ce qui rassemble les écolieux, c’est un souci d’écologie, d’autonomie, de reconnexion à la terre, avec une idée d’entraide et d’accueil ». Après avoir longtemps travaillé comme correctrice dans une maison d’édition, Elisa se forme à la « psychothérapie en décodage biologique ». Aujourd’hui, elle a 64 ans et reste attirée par l’aventure humaine. Françoise a le même âge. Jeune, elle a manifesté pour le Tibet libre, contre le nucléaire et pour la préservation de la nature.

Pour acquérir la ferme, tous trois ont réussi à convaincre 33 « prêteurs solidaires ». Ils créent alors une société civile constituée de trois associations afin de garantir que « le pouvoir n’est pas occupé par des personnes physiques ». La communauté envisage un temps de rejoindre les « Oasis en tous lieux », concept lancé par Pierre Rabhi au milieu des années 90, mais finit par abandonner le projet.

Deux ans et demi après l’acquisition de Lentiourel, des dizaines de personnes viennent s’installer dans la communauté. Puis elles repartent. L’un d’eux n’est resté que sept mois : Pier-Emmanuel, un sculpteur de 54 ans s’est aperçu qu’il préférait son indépendance à la vie collective.

Aujourd’hui, la communauté ne compte que huit personnes pour assumer toutes les tâches : construire des buttes pour faciliter l’irrigation, recouvrir les jeunes pousses de déchets de végétaux secs ou encore ramasser le fumier. Il faut également rénover les bâtiments, vider les toilettes sèches, couper le bois pour la cheminée et cuisiner pour tout le monde.

Mais, de l’aveu de tous, le plus éprouvant restent les relations humaines. Chacun cherche sa place. L’une d’elle admet que « vivre et organiser du travail ensemble, c’est difficile à digérer ». Un autre ayant vécu dans une communauté spirituelle dirigée par un gourou est un peu déçu, il recherchait une vie plus fusionnelle. Une autre dit qu’elle était préparée aux tensions relationnelles.
Matthieu, arrivé dans la communauté pour l’organisation d’un festival chamanique est déçu. Il espérait que « tout cela soit simple » mais a dû se rendre à l’évidence que ça ne l’était pas.

Alors pour apaiser les tensions, toutes les méthodes sont bonnes : « communication non violente, les quatre accords toltèques, la pratique hawaïenne de réconciliation Ho’oponopono, la méditation bouddhiste, le « rêve du dragon » pour imaginer des projets collectifs, les cercles de cœur pour exprimer son ressenti sans être jugé »…
La situation financière de la communauté n’est pas simple non plus. Une dizaine des prêteurs solidaires demandent à être remboursés dans les meilleurs délais. Les tâches administratives sont venues se greffer aux autres obligations de la ferme. Jak doit trouver de l’argent. Il attend des réponses des banques et notamment de la NEF, coopérative de finances solidaires. Mais « les résidents ne s’attendaient pas à une telle intrusion de l’économie dans leurs rêves ».
« Les babas coulent » !

Source : Libération, 24.01.2014