Formation professionnelle : Une mine pour les sectes

La progression des dérives sectaires dans le domaine de l’entreprise et dans la vie professionnelle fait partie des thèmes développés dans le rapport 2011-2012 de la Miviludes. Le secteur du coaching est particulièrement visé, conséquence d’une « explosion » de la demande des dirigeants d’entreprises ou des salariés eux-mêmes.
Il existe pourtant un écart entre les services proposés et la réalité. En effet, ceux qui se prétendent « coachs » sont pour la plupart absents du répertoire des organismes de formation ou bien encore ne sont pas connus par les services de l’Etat…

Peu de retombées cependant : la Miviludes ne compte que 20 % de signalements liés à la formation professionnelle sur les 2.600 reçus en 2012. Le président de la Mission, Serge Blisko, explique à Libération qu’un « DRH qui s’est fait berner par un pseudo-organisme de formation ne va pas aller s’en vanter ». Quant aux victimes, elles ont souvent tellement honte qu’elles se taisent le plus souvent.

Nicolas, quant à lui, a accepté de témoigner dans La Croix. De sa formation dans son entreprise, il garde « une impression de dégoût » et une « amertume ». Le stage résidentiel de trois jours, auquel il a participé, était baptisé « équipe gagnante ». Le soi-disant coach faisait passer des tests de personnalité, imposait une psychanalyse sauvage, posant des questions intimes devant la dizaine de stagiaires. A la fin du stage, « les patrons » débarquaient. Le coach qui avait la confiance du responsable des ressources humaines était omniprésent. « Les plus fragiles n’ont pas encaissé. Très vite, il y a eu des démissions, des burn-out. Cela a fait beaucoup de mal ».

Pour Serge Blisko, ce secteur de la formation est « complexe à appréhender ». « A quel moment, dans des formations qui se revendiquent comme touchant à la personnalité et donc à l’intime, tombe-t-on dans la dérive sectaire ou dans l’emprise ? ».

Reste que la Miviludes a recueilli des témoignages. Et certains sont plus surprenants que d’autres ! Ainsi en est-il d’une formation en coaching « pour parfaire » son CV et « être béton en entretien d’embauche » au cours de laquelle le formateur demandait à tous les participants de se déshabiller pour soi-disant « mieux déballer sa vie privée » et « améliorer sa confiance en soi ».

Il existe des dizaines de milliers d’organismes de formation. Certains ont le statut d’entreprise, alors que d’autres ont le statut d’associations loi 1901. Le secteur est peu réglementé. « Pas assez », selon Catherine Picard qui explique qu’il « existe un agrément mais c’est seulement sur le volet administratif. Il n’y a aucun contrôle sur le contenu de la formation. N’importe qui peut se présenter demain comme formateur ». L’un des critères utilisés par la Miviludes pour repérer les organismes « suspects » demeure l’aspect financier car les coûts y sont souvent « exorbitants » : entre 6.000 et 20.000 euros par personne !

Au ministère du Travail et de la formation professionnelle, un service est chargé d’effectuer un contrôle des organismes, mais pour la Miviludes, « ce n’est pas suffisant ». Elle préconise de créer un label « plus serré et plus sérieux » pour certifier les organismes de formation. Elle a aussi publié en février 2012, un guide « Savoir déceler les dérives sectaires dans la formation professionnelle ». [1].

Source : La Croix, Flore Thomasset, 25.04.2013 & Libératon, Marie Piquemal, 25.04.2013 & radinrue.com, 30.04.2013

Autre exemple de risque sectaire mentionné par le président de la Miviludes lors de la remise du rapport à Matignon : un organisme de cours d’anglais à Paris dirigé par trois adeptes du Mouvement Raëlien… « Quelle est la part de prosélytisme ? Est-ce une officine de camouflage ou pas ? Comment savoir ? se demande Catherine Picard, présente lors de la remise du rapport de la Miviludes…

Source : Libération, Marie Piquemal, 25.04.2013

Enquête menée par Lyon Capitale

La journaliste de Lyon Capitale a recueilli les témoignages de victimes de dérives sectaires et a également rencontré des représentants de la Miviludes et des associations.

L’entreprise reste un « eldorado » pour les sectes car 30 milliards d’euros sont collectés chaque année au titre de la formation professionnelle. « Les entreprises ont d’alléchants budgets de formation continue, confirme Arnaud Palisson, ancien analyste à la Direction centrale des renseignements généraux. Et certaines organisations se sont adaptées spécialement à la captation en entreprise « en développant des plans de formation propres au monde du travail, voire en créant des organisations écran ayant pignon sur rue, spécialisées dans la formation en entreprise ». Ces organisations visent les cadres et les décideurs, observe la Miviludes. Les victimes refusent souvent de témoigner par peur des représailles, par honte ou par décrédibilisation de l’entreprise… Et seulement 1 % de ces victimes auraient recours à la justice.

Les pouvoirs publics par l’intermédiaire de la Mividules et à travers les associations d’aide aux victimes mettent en garde depuis plusieurs années « les cercles économiques » contre ce péril mais les entrepreneurs continuent de placer l’approche sectaire « presque en dernier sur l’éventail des risques ». Et leur opposer des chiffres est d’autant plus difficile qu’une entreprise « ne dira pas –ou rarement- qu’elle a connu un risque sectaire », explique Henri-Pierre Debord, conseiller à la Miviludes. Selon ce dernier, 10 % environ de ces organismes sont à risque, soit entre 1.200 et 1.500 organismes.

Interrogé, le conseiller de la Mission explique que les PME qui représentent près de 70 % de l’ensemble du parc d’entreprises français, sont « un enjeu de taille » pour les organismes de formation. La diversité des tâches dans ce type d’entreprises « ne donne pas les moyens d’une grande lucidité sur tout ce qui se présente comme offres de services venant de l’extérieur pour ceux qui occupent des fonctions de direction et de décision ». Mais les grands groupes peuvent eux aussi être trompés car ils achètent « des prestations de service les yeux fermés » à des organismes qui posent problème.

Du côté des victimes, la journaliste a recueilli deux témoignages. Le premier concerne des faits récents : Lili, 35 ans, handicapée après un accident du travail, avait contacté Cap Emploi 31 à Toulouse, l’équivalent de Pôle Emploi pour les travailleurs handicapés. Elle s’est alors retrouvée avec un « formateur », adepte d’un mouvement d’origine japonaise, Sukyo Mahikari [2], qui va essayer de la faire adhérer au mouvement, utilisant toutes sortes de moyens et de subterfuges. Pendant sa pseudo-formation, Lili tentera de téléphoner aux services de la Région pour les avertir mais la réponse arrivera… trois mois plus tard. Quant à la conseillère de Cap Emploi appelée à l’aide, elle demandera à Lili de rédiger un courrier, ce que Lili refusera. Elle lui suggérera alors « de n’en parler à personne ». A l’heure actuelle, Lili est encore en colère, d’autant plus, que c’est la Région qui avait financé les deux mois et demi de formation, soit 6.000 euros ! Contacté par la journaliste, Cap Emploi a répondu avoir informé le financeur et donné des consignes pour ne plus orienter de stagiaires vers cette organisme… Malgré tout, le « formateur » de Lili continue d’exercer en tant qu’indépendant. Il propose « ses services » aux entreprises.

Le second témoignage est nettement plus ancien et concerne lui aussi un mouvement d’origine japonaise, la Soka Gakkai [3]. Les problèmes de David remontent à 2003. Il venait d’être embauché dans une association dont la directrice était à l’origine d’un climat déstabilisant pour les salariés. Elle était surtout adepte de la Soka Gakkai qui lui envoyait des « consignes » lui dictant son comportement.
Sur les conseils de l’ADFI locale, six salariés avaient monté un dossier pour harcèlement car les chances de faire jouer l’argument sectaire restaient très minces dans ce genre de cas. La directrice était finalement remerciée mais elle ira aux Prud’hommes et gagnera ! David explique que ce harcèlement quotidien qui prenait la forme de mensonges, de falsification de documents… l’avait conduit à une dépression. Quant à la directrice « remerciée », elle a créé sa propre structure de formation professionnelle. [Décidément !].
(Source : Lyon Capitale, Léa Maltais, 22.04.2013)

[1] Bulles n°114 et le site de l’UNADFI.

[2] L’association Sukyo Mahikari Lumière de Vérité a été fondée par le japonais Kotama Okada en 1960. Elle figure dans la liste des sectes du rapport parlementaire de 1995 et dans le rapport de 1999 sur les sectes et l’argent.]

[3La Soka Gakkai a été fondée au Japon dans les années 30. Présidée par Daisaku Ikéda, la Soka Gakkai Internationale (SGI) est aujourd’hui une organisation riche et puissante. Présente dans 190 pays, elle compte plus de 10 millions d’adeptes, dont 6.000 en France où elle est implantée depuis 1966.

Pour plus d’informations, consulter le site de l’UNADFI :