Islam radical : un plan d’action gouvernemental

François Hollande l’a annoncé lors d’une intervention le 22 avril 2014 à l’Institut du Monde Arabe : la France veut « dissuader », « empêcher » et « punir » les candidats au djihad. Devant la multiplication des cas de jeunes gens en rupture sociale et familiale, les autorités françaises ont décidé de se saisir de la question. Très attendu, le plan d’action gouvernemental de lutte contre les filières djihadistes a été présenté, mercredi 23 avril, au Conseil des ministres par le ministre de l’Intérieur, Bernard Cazeneuve. Ce plan comporte une série de mesures qui devraient être mises en œuvre prochainement :

Empêcher les départs
Le ministre de l’Intérieur souhaite que les parents de mineurs puissent alerter facilement et rapidement les autorités. Pour cela, il a mis en place une plateforme en ligne (et un numéro vert) qui permettra à ces parents de faire un signalement afin de s’opposer à la sortie de territoire de leur enfant. Avec un signalement au Système d’Information Schengen et un renforcement de la coopération internationale et européenne, le ministre assure que les autorités seront en mesure d’éviter ce départ. Le rétablissement de l’autorisation de sortie de territoire pour les mineurs n’est plus à l’ordre du jour.

Pour les majeurs, les mêmes procédures devraient pouvoir être mises en place mais des dispositions législatives devront être prises. Le retrait des passeports est également envisageable dès lors que les autorités disposeront de présomptions sérieuses de risques pour la sécurité nationale.

Démanteler les filières
Le ministre compte aussi développer la « stratégie de lutte » contre le cyber terrorisme notamment en accroissant la possibilité de détection des filières avec la généralisation de l’enquête sous pseudonyme. Avec ses homologues européens, il souhaite enclencher une opération à destination des grands opérateurs pour qu’il n’y ait plus de diffusion de vidéos, de photos, de messages qui incitent au djihad. B. Cazeneuve a affirmé que le gouvernement souhaite voir « les contenus illicites et sites de recrutement faire l’objet de procédures de suppression effective et rapide ».

Expulser les étrangers impliqués dans les filières
Le gouvernement prévoit la possibilité d’expulser des ressortissants étrangers impliqués dans des filières djihadistes et de développer le gel des avoirs des structures utilisées par les filières.

Déchoir les djihadistes de la nationalité française
Le gouvernement n’exclut pas non plus de retirer la nationalité française à certains djihadistes, à condition que la personne concernée soit devenue française par naturalisation et dispose d’une double nationalité.

Accueillir et soutenir des familles
Le plan prévoit la mise en place d’un dispositif d’accompagnement. La plate-forme de signalement en ligne permettra de « mobiliser toutes les administrations de l’Etat lorsque les familles constatent des risques de rupture avec un de leur membre, pour accompagner ces jeunes qui parfois, fragilisés psychologiquement, embrigadés par des actes de propagande, basculent ».

Le ministère de l’Intérieur a annoncé la mise en place d’une plateforme d’assistance aux familles et de prévention de la radicalisation violente. Un numéro d’assistance et d’orientation et un formulaire ont été mis à disposition des familles frappées par ce problème. Ils peuvent être utilisés pour :

 

  • signaler une situation inquiétante qui paraît menacer un membre de la famille ou un proche,
  • obtenir des renseignements sur la conduite à tenir,
  • être écouté(e), conseillé(e) dans ses démarches.

L’objectif est de mobiliser les moyens de l’Etat pour aider les familles à surmonter ce problème.

Pour Dounia Bouzar(2), fondatrice du Centre de prévention contre les dérives sectaires liées à l’islam (CPDSI) « le gouvernement doit prendre conscience de la nécessité de former les instituteurs, les éducateurs, les policiers, les responsables de MJC » car les gens confondent ce qui relève de l’islam et ce qui relève de la dérive radicale.
Le rôle des parents est prépondérant. Le juge antiterroriste Marc Trévidic rappelle que de nombreuses enquêtes ont débuté à l’initiative de proches inquiets : « c’est assez fréquent que ce soient les parents qui nous contactent pour nous décrire les phases de radicalisation de leurs enfants ». En février dernier, Manuel Valls, alors ministre de l’Intérieur, déclarait : « Nous devons être plus audacieux dans les mécanismes de prévention et développer le suivi individuel et la réinsertion de ceux qui reviennent. Il faut aider les parents concernés qui appellent à l’aide ».
Le ministre est également convaincu que « certains réalisent, bien tard, que le « combat » qu’ils croyaient mener n’est qu’une illusion mortifère ».
Mathieu Guidère, professeur d’islamologie à l’université de Toulouse, s’enquiert lui aussi de ceux qui reviendront dans leurs familles « parce qu’ils ont abandonné ou n’ont pas été acceptés ». Ceux-là devront être considérés « non comme des terroristes, mais plutôt comme des victimes de dérives sectaires ».

Sources : Le Nouvel Obs, 23.04.2014 & Direct Matin.fr, 23.04.2014 & Rue89, 23.04.2014 & FranceTvInfo, 23.04.2014

(1) Site du ministère de l’Intérieur :
http://www.interieur.gouv.fr/Actualites/L-actu-du-Ministere/Dispositif-de-lutte-contre-les-filieres-djihadistes
(2) Dounia Bouzar est à l’initiative d’une pétition : « Rendez nous nos enfants ». Ce « cri » lancé par des familles est destiné à demander aux autorités le rapatriement des jeunes français partis en Syrie.

 

LES DEPARTS POUR LA SYRIE EN CHIFFRES

Selon les services de renseignements, 250 français seraient actuellement en Syrie ; une vingtaine y seraient morts. Pour le ministre des Affaires étrangères, Laurent Fabius, autant seraient en partance.
Le ministre de l’Intérieur, Bernard Cazeneuve, précise qu’il y aurait sur place un peu moins de 20 mineurs.
Dounia Bouzar a sondé 40 familles de jeunes radicalisés ayant pris contact avec le Centre de prévention contre les dérives sectaires liées à l’islam (CPDSI). De leurs déclarations, l’anthropologue a tiré une première étude réalisée entre février et avril 2014.

  • 63,3% des familles des jeunes endoctrinés sont athées, 20% sont de confession musulmane non pratiquante pour 13% d’entre elles. Dounia Bouzar observe que « moins la famille connaît la religion, plus l’endoctrinement est facile ».
  • 96.7% de ces familles sont de nationalité française, 30% ont des grands-parents nés à l’étranger parmi lesquels 16,7% sont originaires du Maghreb.
  • 90% des jeunes radicalisés ont été endoctrinés via internet dans un premier temps. Ce média est l’unique vecteur de recrutement pour 6,7% d’entre eux et pour plus de 80%, c’est la combinaison d’internet et d’un interlocuteur rencontré physiquement qui fait basculer les jeunes.
  • 60% de ces jeunes sont des filles. Ils sont majoritairement issus de la classe moyenne et résident pour 46,7% d’entre eux dans la région parisienne.
  • 36,6% d’entre eux sont déjà partis en Syrie (10% y sont morts). Ils sont 16,7% à essayer de s’y rendre.
  • 20% des endoctrinés sont mineurs. 43,3% sont de jeunes adultes âgés de 18 à 21 ans.

En décembre 2013, le centre international pour l’étude de la radicalisation a recensé quant à lui le nombre de « combattants » étrangers présents en Syrie, le situant dans une fourchette allant de 3 000 à 11 000, soit 10% de l’ensemble des combattants. Les étrangers européens représenteraient 18% et constante augmentation.

Sources : Le Monde.fr, 23.04.2014 & SaphirNews, 25.04.2014

Des familles en détresse

RTL relate le cas d’une adolescente de 16 ans qui a tout abandonné pour se consacrer à un islam radical.

Elève brillante, issue d’une famille de confession catholique, cette jeune fille a cessé tout dialogue avec ses proches. Sa mère a tenté des recours officiels parce qu’elle craint que le départ de sa fille ne soit imminent : « J’ai déposé plainte pour abus de faiblesse et prévenu la cellule anti-terroriste (…). Mais comme elle n’est pas partie en Syrie, ils me disent qu’il n’y aura rien de fait à leur niveau ». Par précaution la mère lui a confisqué son passeport et espère que personne ne lui procurera de faux papiers.
Autre cas, celui de Dominique Bons, mère athée d’un converti mort « en martyr » en Syrie quelques temps après son frère. Elle fait partie de ces parents démunis qui ont vu la radicalisation de leur enfant sans savoir quoi faire.

Source : RTL.fr, 22.04.2014 & Rue89, 23.04.2014